Un type au teint livide se tenait devant Tyler, complètement nu, les cheveux en bataille, le regard vide... Il n'était pas beau à voir. Et ce type, ce n'était autre que le reflet de Ty' dans le grand miroir de la salle de bain. Il eut lui même du mal à se reconnaître. Ça faisait longtemps qu'il ne s'était pas retrouvé face à lui-même. Toutefois, une chose était sûr: ça allait mieux. Tout allait plus ou moins bien depuis que Lily s'était immiscée dans sa vie, un peu par la force des choses. Il avait repris un peu de poids, bien que ses cernes restent encore très visibles et témoignent de sa fatigue. Mais aujourd'hui, il avait trouvé une bonne raison pour se lever le matin et trouver la force de s'habiller correctement, se raser, se coiffer... Pour accueillir Lily dès son réveil avec un petit déjeuner prêt à être servi. Il lui mentait toujours en disant qu'il avait pris le sien en se levant mais lorsqu'il passait devant une boulangerie pour aller jusqu'à l'université, il s'autorisait à se laisser tenter. D'ailleurs, il s'autorisait de plus en plus de choses depuis l'arrivée de Lily. Son estomac n'était plus encombré par les soucis et il devait bien l'admettre: c'était presque agréable.

Après être resté figé devant la glace quelques minutes, Tyler fut parcouru d'un frisson. Il venait de sortir de la douche et sa peau, encore humide, s'était rafraîchie. Et à présent, il était gelé. Il saisit l'essuie de bain qui traînait sur le lavabo et il s'essuya avant d'enfiler le boxer qui lui servait de pyjama. Il sortit de la salle de bain, éteignit la lumière et il se retrouva dans l'obscurité complète. À tâtons, il longea les murs du petit couloir et passa devant la porte de la chambre de Lily. Il s'arrêta un instant puis, il se décida à entrer. Bien qu'il connaissait la pièce par coeur, il réussit à fracasser son orteil contre le pied du lit. Il retint sa respiration et mordit sa lèvre pour ne pas hurler. Il sautilla et la douleur finit par se dissiper. Il essaya d'avancer en silence et s'assit doucement sur le lit. Les chiffres lumineux du réveil se reflétaient sur la petite fée endormie, si bien que Ty put deviner sa position. Elle était couchée sur le coté, tournée vers lui et semblait dormir. Il n'avait jamais su si elle faisait semblant ou non mais si ce fut le cas, elle n'avait jamais protesté. Tyler toucha la joue de Lily du bout des doigts puis, il les laissa glisser sur son épaule, puis son bras. Ty souleva sa main lentement pour la déposer sur le ventre de la jeune femme. Il perçut un léger gargouillis, comme d'habitude, mais pas de coup de pied à l'horizon. Il était déçu.

Tyler se pencha sur Lily et embrassa sa joue longuement avant de se relever. Il refit le chemin inverse pour arriver jusqu'à la porte et quitter la chambre en silence. Sur la pointe des pieds, Ty traversa le couloir pour se rendre dans la pièce juste en face. C'est là que se trouvait sa chambre. Ou du moins, son lit car c'était le seul meuble qu'on y trouvait. Il se laissa tomber sur le matelas raide et plat, la tête la première dans son oreiller. Il expira longuement avant de saisir le coussin et de le serrer fort contre lui. Il aurait bien aimé que ce soit Lily mais heureusement, ce soir-là, le sommeil l'emporta avant qu'il ait le temps de se sentir abandonné.

Je t’aime à en crever tes pneus pour que tu restes là Skinny.lOve

Rituel enfantin que de raconter sa journée à un journal intime, surtout pour une femme de vingt-et-un an enceinte jusqu’aux yeux, à tel point qu’elle arrive à peine à voir ce qu’elle écrit par-dessus son gros ventre. Elle écrit distraitement, toujours la même chose. Des sortes de longues lettres adressées toujours à la même personne. Des mots qu’elle n’oserait jamais prononcer devant lui en réalité et cela vaut peut-être mieux qu’il reste dans l’ignorance. Il prendrait sans doute peur. Distraitement, Lily-Rose entend l’eau de la douche couler. Depuis toute petite, elle adore ce bruit apaisant. Alors elle était ravie quand il lui a donné cette petite chambre coquette à côté de la salle de bain. Quand Sky est sous la douche, elle se contente d’écouter le bruit de l’eau. C’est une bien étrange habitude qu’elle prend soin de garder secrète. Il ne manquerait plus qu’il sache et il la jetterait dehors. Trop folle pour rester avec lui. Elle n’attend pas que l’eau cesse de couler pour caler un petit casque noir sur ses oreilles et pousser le volume de la musique au maximum. Elle reprend son écriture, rêveuse et somnolente. Il est plus de minuit quand elle ferme le cahier et le range simplement dans le tiroir de sa table de nuit et éteint la lumière. Elle s’endort toujours avec de la musique, quitte à se faire mal à cause du casque. Depuis qu’elle vit seule, c’est une habitude et impossible de s’endormir sans.

Recroquevillée sur le côté, autour de son ventre, elle s’endort en serrant les bords de son oreiller entre ses mains. Contrairement à d’habitude, ce soir, elle ne pourra pas dire bonne nuit à Sky. Installée chez lui depuis un peu plus de deux mois, elle a pris l’habitude d’aller l’embrasser avant de dormir. Où qu’il se trouve, juste un petit baiser sur la joue. Elle met peu de temps à s’endormir, ce qui ne lui ressemble pas, elle qui était rarement couchée avant deux ou trois heures du matin. Là, il n’est même pas onze heures du soir, elle est déjà endormie. Dire qu’elle dort paisiblement serait un mensonge. Combien de temps il s’écoule avant le début de ce cauchemar, elle n’en sait rien et ne peut pas le savoir, mais elle est crispée, tendue et serre de plus en plus fort l’oreiller. Mis à part quelques mouvements de ses mains et son visage tendu, rien n’indique qu’elle cauchemarde. Elle ne pleure ni ne gémit et ne se tourne pas dans tous les sens. Un bruit résonne dans sa tête, mais pas assez fort pour la réveiller, comme quelque chose que l’on cogne. Puis, des chatouilles sur la joue. Par réflexe, elle pince les lèvres et remue le nez. Brièvement, mais elle semble se détendre. Les caresses fantômes descendent le long de son bras et s’interrompent. Une intense chaleur se fait sentir sur son ventre. Pas quelque chose d’insupportable, au contraire, c’est apaisant.

Ce qui achève de la calmer, c’est quelque chose qui se pose sur la joue à la fois doucement et fermement. Elle le sent bien cette fois. Ses yeux remuent derrière ses paupières closes. Cette sensation disparait trop vite, beaucoup trop à son goût, et son cœur se serre de nouveau. Comme si quelqu’un était venu chasser les monstres sous son lit, apportant un certain réconfort, et était reparti aussi sec, laissant les monstres revenir. Au moment où elle les verrait fondre sur elle, elle ouvre les yeux brusquement. Ses joues sont inondées de larmes. Elle ne s’en rend compte qu’en y passant la main pour écarter ses cheveux en désordre. La lumière rouge du réveil à cristaux liquides éclaire la chambre. Rien. Elle est vide. Terrifiée malgré tout, Lily se lève, un peu fébrile, jette son casque sur le lit et sort à grands pas de cette chambre dans laquelle elle ne veut soudain plus dormir. Machinalement, comme une habitude, elle bifurque vers la chambre de Tyler. Si elle ouvre silencieusement la porte, elle ne met aucune délicatesse pour s’allonger à côté de lui et venir se faufiler dans ses bras. Au contraire, elle ne souhaite qu’une seule chose, le réveiller. Blottie contre lui et cette chaleur rassurante qu’il a toujours dégagée, elle se sent déjà mieux. Ce n’est que quand elle lève la main à la recherche d’un col sur lequel tirer pour le réveiller qu’elle réalise que justement, il n’y a rien à tirer. Et qu’il n’a surtout rien sur le dos.

Cela dit, il en faudrait plus pour décourager la jeune femme qui, dès lors qu’elle se rend compte qu’il n’a rien sur lui qu’un boxer, avance la tête vers la sienne et la glisse sous son menton. Sa voix est très faible, à peine un murmure, pour ne pas le réveiller brusquement.

« Sky… Sky, réveille-toi. Sky… Y’a des monstres dans ma chambre. »

Les mots sont sortis instantanément, mais elle sait que de toute façon, il ne se moquera pas d’elle, qu’elle peut se comporter comme une enfant avec lui, si elle en a envie.

Tyler se tourna et se retourna sous la maigre couverture qui le recouvrait. Il entrouvrit les yeux et fut ébloui par la lumière jaune que dégageait l'un des réverbères de l'éclairage public. Pas de chance, le faisceau donnait directement sur la fenêtre de Ty et ses stores, cassés depuis des mois, ne servaient strictement à rien. Tyler soupira avant d'enfouir son visage dans l'oreiller et de se retourner, pour la énième fois. Il s'étira et gémit légèrement en entendant le craquement de ses vertèbres puis, il s'assoupit. À mi-chemin entre la veille et le sommeil, Ty était assez détendu pour avoir l'air profondément endormi, mais assez attentif pour entendre les bruits qui l'entouraient. D'ailleurs, il crut percevoir le grincement d'une porte. Sûrement Lily qui devait se rendre aux toilettes. C'est commun aux femmes enceintes mais Tyler n'en savait rien avant que Lily vienne habiter chez lui. Certaines nuits, lorsqu'il ne trouvait pas le sommeil, il s'asseyait par terre, appuyé contre sa porte et était à l'affût du moindre bruit. Il avait surtout peur que Lily fasse un malaise ou autres et préférait voler à son secours dans l'immédiat plutôt que de la laisser agoniser toute la nuit dans le hall.

Cette nuit, en l'occurrence, elle n'avait pas de rendez-vous secret avec la cuvette des toilettes. Tyler reconnut immédiatement le bruit de ses pas lorsqu'elle posa ses pieds sur le parquet de la chambre. Sans réelles difficultés, Ty put deviner qu'elle s'approchait du lit, silencieuse. Il n'eut même pas besoin d'ouvrir les yeux pour en être convaincu. Le sommier rebondit légèrement sous le poids de la jeune femme qui se blottit presque immédiatement contre Tyler. Spontanément, il ouvrit les bras pour la laisser se coller à lui, comme si il savait exactement ce qu'elle attendait. La peau douce de la jeune femme contre la sienne le rassura et il poussa un petit grognement de satisfaction, comme un gros chat bien câliné et repu. Il sentit une légère pression sous son menton et se décida enfin à ouvrir les yeux. Une petite voix de fée, sortie de nulle part, lui murmura:

▬ Sky… Sky, réveille-toi. Sky… Y’a des monstres dans ma chambre.
▬ Et tu me dis ça maintenant, alors que j'ai oublié mon super bazooka désintégrateur de monstre dans la voiture ?

Sur ces mots, Tyler reserra un peu plus ses bras autour de Lily en prenant soin de ne pas l'étouffer. Il se mit alors à faire des petits dessins dans son dos en utilisant le bout de son index comme stylo. Une fleur, une bite, un coeur,... Il n'était pas certain qu'elle fasse attention mais peu importe. Il se sentait bien, en sécurité ici. Il aurait voulu que ce moment ne se termine jamais. S'il avait eu le pouvoir de figer le temps, il l'aurait utilisé à cet instant même mais ça, ça ne fonctionne que dans les films.

▬ Tu le veux où ton bisous anti-monstre aujourd'hui ? Juste pour infos, si tu choisis les fesses, c'est gratuit !

Ben quoi ? Tyler était trop vieux pour changer (a). Mais ce genre de complicité puérile d'enfant-adolescent l'avait toujours fait sourire. Lily et lui devaient sans doute bouffer trop de dessins animés pour être retombés aussi loin dans l'enfance. Tant que ça leur plaisait, pourquoi s'en passer ? Ty fit grimper ses doigts le long de la colonne vertébrale de Lily afin d'aller lui masser la nuque. La version officielle, c'était qu'il devait dorloter la mère de son futur enfant. La version officieuse, c'est qu'il adorait toucher Lily. Mais pour lui prouver qu'il ne voulait se montrer que bienveillant, il lui murmura:

▬ Ça va aller pour te rendormir ? Tu préfères rester avec moi ?

Je t’aime à en crever tes pneus pour que tu restes là Skinny.lOve

En s’allongeant contre lui, Lily-Rose ne remarque même pas qu’il écarte les bras pour lui faciliter l’accès à son torse. Tout ce qu’elle sait, c’est qu’elle se sent bien, contre lui. Couchés l’un contre l’autre, elle se met dans sa peau. C’est comme une vieille habitude. Elle semble retrouver aussitôt comment mettre son bras. Il n’a rien d’étranger, il est son sommeil même. Elle ne voit plus que lui, en gros plan un bout d’épaule et de nuque. Autour d’elle, il n’y a que son souffle, son odeur et sa peau. Elle est toute entière dedans lui et se sent comme une enfant qui vient de naître. Et même s’il y a plus, beaucoup plus que ça, elle refuse d’y penser. A quoi bon se faire trop de mal pour un garçon qui, de toute façon, ne l’appréciera jamais plus que comme une amie ? C’est la première fois qu’elle ose franchir la porte de la chambre de Sky. La première fois qu’elle se couche dans son lit. La première fois aussi, qu’elle ose venir se blottir dans ses bras comme s’ils étaient un vrai couple. Et elle n’en revient pas de tant de chaleur. Même si elle l’attendait tout ce temps, et qu’elle pensait à lui chaque soir à en pleurer de tant d’absence, elle n’imaginait pas jusqu’où ça ferait du bien de se retrouver enfin dans ses bras. Alors qu’elle tente de le réveiller, il répond instantanément. Mince, il ne dormait pas. Lily redresse la tête pour l’observer. Eclairé par un lampadaire qui darde ses rayons sur Sky, elle voit ses grands yeux bleus dilatés.

« Et tu me dis ça maintenant, alors que j'ai oublié mon super bazooka désintégrateur de monstre dans la voiture ? »
« Alors il faut fermer à clé au cas où ils essayeraient de rentrer pendant la nuit. »

Tandis qu’il resserre agréablement son étreinte, elle niche de nouveau sa tête sous son menton. Un frisson parcourt tout son corps quand elle sent ses mains dans son dos. Son visage devient rouge de gêne pendant qu’il se met à dessiner du bout de l’index des motifs auxquels elle ne fait pas attention. Ces petits massages la bercent. Son cœur, affolé à son réveil, s’est calmé et elle a cessé de trembler. Automatiquement, elle pose ses mains bien à plat sur son torse plus sculpté que dans ses souvenirs et ferme les yeux. Une main posée à l’endroit de son cœur, elle l’entend battre tout doucement, mais pas de manière inquiétante, plutôt de façon calme. Un petit sourire creuse les joues de Lily et fait apparaître ses pommettes saillantes. Elle somnole dans ses bras, si bien que sa voix est comme lointaine, bien qu’elle en distingue chaque mot.

« Tu le veux où ton bisous anti-monstre aujourd'hui ? Juste pour infos, si tu choisis les fesses, c'est gratuit ! »

Pour seule et unique réponse, Lily dépose ses lèvres juste sous sa gorge, dans le petit creux entre ses clavicules, tout doucement, pour ne pas lui faire mal. Ce n’est presque pas un baiser, d’ailleurs, tellement c’est doux. Paradoxal pour Lily, qui n’a pas l’habitude d’être délicate. Si elle entre dans une chambre, elle fermera discrètement la porte, mais si elle veut poser un objet fragile sur une table, ça fera « BAM » à coup sûr. Malgré tout, elle doit se retenir de rire. Depuis quelques temps, Sky est presque méconnaissable. Il enchaîne bêtises sur bêtises et semble se porter mieux de jour en jour. En ce point de sa vie, rien de pourrait rendre Lily plus heureuse. Elle sent ses joues s’enflammer quand il fait remonter sa main vers sa nuque. Pour la jeune femme qui a toujours été très tactile, c’est étrange car elle n’a jamais eu l’habitude qu’on le soit avec elle en retour.

« Ça va aller pour te rendormir ? Tu préfères rester avec moi ? »
« J’retourne pas dans la chambre… Fais gaffe, j’ai tendance à foutre des coups de pieds quand j’dors… »

Même s’il avait voulu la faire déguerpir, ça aurait été peine perdue, car elle s’endort à peine quelques secondes après avoir prononcé ces mots. Elle a passé les bras autour de lui aussi et s’est endormie aussi sec. Elle a l’impression de dormir des années, comme la belle aux bois dormants qui dort d’un sommeil de cents ans. Mais elle, au moins, elle a déjà un prince charmant auprès d’elle et pas de ronces qui la menacent. Au contraire, les bras du prince la protègent de tout danger. Malgré tout, quelque chose la réveille. Elle ne sait pas quoi ni pourquoi mais ses yeux s’ouvrent doucement. Ils n’ont pas bougé de leur position, mais à présent, elle a chaud. Le réverbère éclaire toujours le visage cette fois endormi de Sky. Lentement, elle se redresse un peu pour en avoir une meilleure vue. Il lui faut dégager discrètement sa main pour venir l’effleurer du bout des doigts. Sans savoir pourquoi, elle sourit, étrangement heureuse. A ce moment, les mots de Sky lui reviennent à l’esprit. « Même si t'as envie de crêpes à minuit, appelle. » Alors, elle se penche sur lui et embrasse longuement sa joue sans la moindre gêne, espérant le réveiller ainsi. Voyant que ça ne marche pas comme elle le voudrait, elle pose une main sur la joue du jeune homme et cale quelques mèches de ses cheveux bruns en arrière.

« Sky… Hey, Sky, j’ai envie de crêpes. Tu m’en fais ? »

Bon, il n’est pas exactement minuit – plutôt deux heures et demi du matin – et elle n’a pas vraiment envie de crêpes, mais il n’est pas obligé de le savoir. Elle voudrait juste le réveiller, lui parler. Parce que l’emmerdeuse qu’elle est ne pouvait pas le laisser dormir et récupérer de sa fatigue des derniers mois. Bien sûr que non.

Spoiler:

▬ Alors il faut fermer à clé au cas où ils essayeraient de rentrer pendant la nuit.

La réponse de Lily-Rose fit sourire Tyler. Il étouffa un rire discret, à peine audible avant de resserrer son étreinte autour du corps de la jeune femme. La dernière fois qu'il avait été aussi proche de Lily, c'était il y a quelques mois et à l'époque, un énorme ventre ne les séparait pas. Cela dit, il ne les distançait que physiquement, de quelques centimètres car, vu la situation, Lily et Tyler n'avaient fait que se rapprocher. Si on ne connaissait pas leur histoire, on aurait pu les prendre pour deux futurs parents amoureux et heureux. Mais cette vision était un peu trop utopique.

Tyler glissa ses doigts dans le dos de Lily pour caresser lentement sa peau. Il pouvait sentir toute la tension qui la tendait et qui s’atténua progressivement, au fils de ses caresses. À son tour, Lily vint poser sa main sur le torse de Tyler. Un frisson le parcourut mais il se laissa faire, en souriant niaisement, à moitié endormi. Mais son envie de câlin était insatiable, si bien qu'il demanda à Lily si elle voulait un bisous anti-monstre, sous prétexte que c'était lui qui en avait besoin. Vu qu'elle ne répondait pas, il s'inquiéta et s'agita un peu jusqu'à ce que les douces lèvres de Lily vinrent se poser sur sa clavicule. Il soupira de soulagement et ferma lentement les yeux. En remontant sa main jusqu'à la nuque de la jeune femme assoupie, il voulut vérifier qu'elle passerait une bonne nuit, en espérant qu'elle ne quitte pas son lit maintenant.

▬ Ça va aller pour te rendormir ? Tu préfères rester avec moi ?
▬ J’retourne pas dans la chambre… Fais gaffe, j’ai tendance à foutre des coups de pieds quand j’dors…
▬ Comme bébé..

Cette dernière phrase fut accompagnée de la main de Tyler, qui se posa délicatement sur le ventre de Lily. C'était amusant comme Ty avait adopté cette manie d'appeler la crevette que portait Lily « bébé ». Ils ne lui avaient pas choisi de prénom, ils ne connaissaient même pas son sexe alors il avait bien fallut le ou la rebaptiser. Tyler voulut faire cette remarque à Lily-Rose mais elle s'était déjà endormie dans ses bras. Il se rapprocha encore un peu plus d'elle et finit par se laisser emporter par les bras de Morphée.

▬ Sky… Hey, Sky.

Tyler releva la tête d'un coup, et observa un moment ce qui l'entourait, paniqué, jusqu'à ce qu'il croise le regard de Lily-Rose. Il soupira et se laissa retomber dans l'oreiller. Décidément, il n'avait plus l'habitude de dormir avec quelqu'un. Et lorsqu'on l'appelait pendant la nuit, c'étaient toujours des voix lointaines de fantômes du passé qui revenaient le hanter dans ses rêves. Ne comprenant pas trop pourquoi Lily avait interrompu cette si belle nuit, il la fixa en fronçant les sourcils, attendant qu'elle s'explique.

▬ J’ai envie de crêpes. Tu m’en fais ?

Tyler gonfla ses joues, désespéré et plissa les yeux en continuant à fixer Lily d'un air plus ou moins menaçant. Il faut avouer qu'avec les cheveux en bataille et la tête dans le cul, il faisait moins peur que d'ordinaire. Il soupira et se leva à contre coeur, quittant les draps chauds de son lit. Mais une promesse est une promesse. Ty remonta son boxer en râlant et lança à Lily:

▬ Madame souhaite-t-elle que je lui apporte son royal breakfast dans sa couche ?

Pour ne pas faire les choses à moitié, Tyler baisa la main de Lily et fit la révérence avant de sortir de la chambre, sans même attendre la réponse. Il traîna les pieds dans le couloir en baillant et alla jusqu'à la cuisine. Préparant tous les ingrédients pour faire une dizaine de crêpes, Tyler regrettait déjà les bras de Lily.

Spoiler:

Je t’aime à en crever tes pneus pour que tu restes là Skinny.lOve

Depuis quelques temps, Tyler avait pris l’habitude de parler de la crevette en l’appelant Bébé. Une habitude vraiment attendrissante – si tant est que Lily-Rose était de bonne humeur, bien entendu. Parfois, quand ils étaient ensemble dans la même pièce et que Lily pouvait l’observer, elle se prenait à s’imaginer comment serait Bidule – oui, ça, c’est le surnom made in Hemingway, relativement ridicule – plus grand. Secrètement, elle aimerait bien une petite fille. Une jolie petite métisse avec les yeux bleus de son père. Bon, grâce à la science, elle sait que ce ne sera jamais réellement les yeux de son père, mais au moins les yeux bleus. Et la douceur de papa, aussi. Pour le bien de Sky, il vaudrait mieux qu’il n’ait à s’occuper que d’une folle au lieu de deux. Intérieurement, elle aimerait lui dire qu’il faudrait réfléchir à un nom car il ne reste plus qu’un mois et demi et le temps passe très vite. Malheureusement, elle est déjà trop dans le coaltar pour se forcer à se réveiller. S’endormir dans les bras de Sky, la première fois qu’elle en est consciente. Les deux premières fois avaient été trop vagues pour qu’elle se rende compte de la chance qu’elle avait. Elle s’endort comme une masse, les lèvres encore posées sur sa gorge. C’est comme si le cœur du jeune homme battait contre sa bouche. Etrange, mais agréable, comme sensation.

Quand elle se réveille, elle aurait pu le laisser dormir. Mais non, ça aurait été trop facile et, Lily-Rose restant elle-même, il faut qu’elle le réveille aussi. Elle se montre délicate et douce pour l’éveiller en douceur mais apparemment, ça ne marche pas. Il fait un petit bond et manque de lui donner un coup de tête en passant. Le cœur de la jeune femme fait lui aussi un bond. Non seulement il lui a fait peur – quelle idée de se relever comme ça ! – et en plus il a l’air terriblement paniqué jusqu’à ce qu’elle remarque son regard se stabiliser sur elle. Mais à quoi est-ce qu’il pensait ? La réponse est d’une évidence troublante. Pendant un très court instant, tout un flot de pensées traverse l’esprit de Lily. « Elle est morte, oublie-la. Tu vas pas vivre en aimant une morte. » Elle retient ces mots au dernier moment, juste avant qu’ils ne franchissent ses lèvres. Elle ne veut même pas imaginer ce qu’il se serait passé si elle les avait laissé sortir. Par réflexe, elle se penche sur lui quand il s’échoue dans l’oreiller et pose ses lèvres sur sa joue sans la moindre délicatesse. De toute façon, il est déjà réveillé. Et puis c’est peut-être une bonne façon de le mettre en condition pour qu’il lui prépare des crêpes. En fait, qu’il se lève et qu’ils puissent parler. Il y a tellement de choses qu’elle voudrait lui dire qu’elle ne sait jamais par où commencer et finit par fermer la bouche et perdre cet air de poisson amnésique qui la caractérise quand elle cherche ses mots. C’est en partie pour cette raison qu’elle a toujours été plus tactile que la normale. Si elle ne se maîtrise pas, elle raconte des choses qui peuvent blesser les gens alors que ce n’est pas dans ses intentions. Surtout Sky, avec lequel elle a toujours fait attention à ses paroles. Si elle lui disait tout ce qu’elle a sur le cœur, il finirait par la haïr. Pas qu’elle ait quoi que ce soit contre lui – il est et a toujours été irréprochable – mais contre ses pensées qui dérivent toujours là où elles ne devraient pas.

Son petit air boudeur quand elle lui demande des crêpes la fait sourire d’une oreille à l’autre. Elle est à deux doigts de se jeter sur lui pour le câliner et sentir à nouveau sa peau brûlante. La première fois, ça fait toujours un choc. La première fois, elle lui a demandé s’il était malade, chose qui a bien surpris le jeune homme et l’a bien fait rire aussi. A tout bien y réfléchir, il se moquait sans doute d’elle mais c’est vrai qu’à présent, cette question lui paraît stupide. C’est à contrecœur qu’il quitte le lit. Mais il y va quand même. Comme toujours, il se plie en quatre pour la satisfaire. Pendant qu’il a le dos tourné, elle grimace. S’il lui avait dit de se rendormir, ça l’aurait rassuré et lui aurait prouvé qu’il pensait parfois à lui. Apparemment, ce n’est pas le cas. Lily se redresse dans le lit et s’y assoit, soutenue par ses bras derrière elle. Sa remarque la fait baisser les yeux, quand bien même il prend sa main pour y déposer un baiser.

« Madame souhaite-t-elle que je lui apporte son royal breakfast dans sa couche ? »

Et à peine a-t-il franchi la porte qu’elle grimace à son attention. Chassez le naturel, il revient au galop. Quand elle n’entend plus ses pas dans le couloir, elle se lève avec un peu de difficulté et prend la couverture en sortant, la trainant nonchalamment derrière elle jusqu’à la cuisine. Il est parti en boxer et elle n’a que ses sous-vêtements sur elle ainsi qu’un long t-shirt. Ses pieds rencontrent le carrelage froid de la cuisine alors que Sky a déjà sorti tous les ingrédients. Comme une lionne, elle arrive en silence derrière lui et, d’un geste assuré, pose la couverture sur ses épaules avant de l’entourer avec, se hissant sur la pointe des pieds pour arriver à sa hauteur. Doucement, elle pose son menton sur son épaule et sourit légèrement, passant sans gêne ses bras autour de son bassin.

« Tu sais, on dit que quand on sourit, on fait marcher moins de muscles qu’en faisant la tête, donc les rides arrivent plus tard. Tu devrais essayer, et puis t’es plus beau quand tu souris. »

Puis, elle s’écarte légèrement pour passer en réalité devant lui et prendre deux œufs entre ses doigts. En y repensant, elle n’a jamais fait de crêpes de sa vie. En fait, elle n’a jamais vraiment cuisiné. Quand elle habitait seule, elle mangeait au self de l’université à midi et se privait le soir ou mangeait un peu n’importe quoi tant qu’elle n’avait pas à cuisiner. Levant les yeux à la hauteur de son visage, elle les observe presque curieusement alors que quelque chose lui revient en mémoire. Quelque chose qui ne va sûrement pas plaire à Sky. Timidement, elle se tourne vers lui, sans baisser les œufs, et encore moins les yeux et dit d’un ton presque rêveur :

« Tu crois que tu peux les faire sans œufs ? Parce que j’suis allergique, figure-toi. Si j’en mange, je crève. J’y avais jamais pensé… »

C’est peut-être aussi pour ça qu’elle n’a jamais pu manger de crêpes ou de gâteaux de sa vie, sans en ressentir ensuite les conséquences. Dire qu’elle mourrait était un peu exagéré de sa part, mais c’était tout comme. Elle s’étouffait jusqu’à que ça se calme. Comme pour se faire pardonner, elle lui adresse un petit sourire hésitant et se redresse un peu pour l’embrasser juste sous les lèvres, sur le menton, avant de lui adresser son célèbre regard de cocker qui, d’ordinaire, fait craquer tout le monde. De toute façon, ça n’était pas comme si les crêpes étaient indispensa bles, même si finalement, elle ne s’en serait pas privée. Sky aurait eu à subir sa crise pendant une dizaine de minutes mais ça aussi, c’était gérable. La jeune femme finit par hausser les épaules.

« Au pire, on peut toujours préparer un chocolat chaud. J’ai super froid, en plus. »

Lily-Rose, ou comment se rattraper aux branches de façon un peu minable.

La mine boudeuse et les contestations de Tyler firent sourire Lily apparemment. Mais ce n'est pas parce que quitter les draps chauds le faisait profondément chier que Ty allait s'arrêter là. Il se leva, courageusement, fit la révérence et sortit de la chambre en se remémorant les ingrédients utiles pour la préparation de crêpes. Il sortit les oeufs et le lait du frigo et se demanda pourquoi il faisait ça, déjà ? Par principe - on ne refuse rien à la mère de son futur enfant - ou par envie - parce qu'il veut la rendre heureuse en tout point ? Tyler soupira avant d'ouvrir l'armoire devant lui pour en sortir un récipient assez large. Soudain, il sentit qu'on l'entourait d'une chaleur réconfortante. Il tourna légèrement la tête et aperçut le minuscule visage de Lily par dessus son épaule. Elle l'avait enveloppé d'une couverture et avait passé ses bras autour de son bassin. Ty sentit ses joues s'empourprer, si bien qu'il tourna la tête aussitôt. Pourquoi était-il là déjà ? Ah oui ! Les crêpes.

Tyler mit un peu de farine dans le récipient, en essayant de ne pas prêter attention à la présence de Lily. Mais celle-ci trouva la bonne idée de se placer devant lui, entre le plan de travail et son torse. Elle prit les oeufs dans ses mains et les fixa d'une façon étrange. Ty' fronça les sourcils, attendant une explication. La jeune femme se décida enfin à ouvrir la bouche:

▬ Tu crois que tu peux les faire sans œufs ? Parce que j’suis allergique, figure-toi. Si j’en mange, je crève. J’y avais jamais pensé…
▬ Mh.. ce serait con de mourir aujourd'hui.

Tyler lui prit les oeufs des mains et les reposa sur le plan de travail, avec un air triste. Il ne s'en servirait pas aujourd'hui. Mais à vrai dire, il s'en battait un peu les noisettes de devoir faire des crêpes sans oeufs. Ce qui l'emmerdait, c'était le « Si j’en mange, je crève. » de Lily. Même si ça n'avait pas été le but de la jeune femme, l'allusion à la mort le rendait sincèrement mélancolique. Il ne voulait pas vivre ça encore une fois. Surtout que c'était le destin qui l'avait mis face à une nouvelle relation. Il n'avait rien demandé. Il se sentait bien, seul et déprimé. Ou pas.

Comme si elle avait deviné, Lily tenta aussitôt de se faire pardonner. En prenant son air de chien battu, elle vint embrasser le menton de Ty', juste en dessous des lèvres. Embarrassé, il tourna aussitôt la tête. Le rouge lui monta sévèrement aux joues et un petit rire nerveux d'adolescent puceau s'échappa de sa bouche. Il se pinça les lèvres et se maudit. Il secoua la tête et tenta de regarder Lily dans les yeux. Il avait du mal. Vraiment.

▬ Au pire, on peut toujours préparer un chocolat chaud. J’ai super froid, en plus.

Tyler retira aussitôt la couverture qui l'entourait encore et la passa autour de Lily, pour l'emballer dedans. Il lui sourit sincèrement.

▬ Je vais te faire des crêpes sans oeufs, tu vas voir. J'suis le MacGyver de la pâtisserie. Allez, va t'asseoir.

Tyler déposa un léger baiser sur le nez de Lily avant de s'écarter légèrement d'elle pour se replacer devant son récipient. Il frotta sa joue, qui était toujours en feux mais il fit comme si de rien n'était. Il prépara la pâte à crêpes - sans oeufs, donc - et sortit sa poêle aux plus petits rebords. Au bout de quelques minutes, il avait déjà fait quelques crêpes. Il en avait préparé si souvent qu'il était capable de les retourner sans fautes, à présent. La pâte liquide finit par s'épuiser alors, Ty' déposa sur la table l'assiette où trônait un petit tas de crêpes parfaitement rondes. Il découpa un petit morceau de l'une d'elles qu'il planta sur une fourchette avant d'y déposer un peu de sucre. Il l'approcha des lèvres de Lily et lui sourit:

▬ Ouvre grand, ma fée, et dis-moi si ça te convient.

Si elle lui recrachait à la gueule, la réponse serait évidente.

Je t’aime à en crever tes pneus pour que tu restes là Skinny.lOve

Effectivement, ça serait con de mourir aujourd’hui. L’air terriblement mélancolique de Sky après sa réplique fait culpabiliser Lily-Rose. Elle sait immédiatement à quoi il pense et pourquoi il a l’air si triste. Les mots se sont échappés de ses lèvres sans qu’elle ait le temps de les retenir. Sur le coup, elle ne pensait pas à mal. Elle avait dit ça sur le ton de la plaisanterie, pensant le faire sourire, mais elle avait fait tout le contraire. Sa gorge se serre brutalement, elle déteste ce regard triste sur son visage. Ça ne lui va pas. Elle préfère le voir sourire, le voir tout se permettre même les pires conneries. D’où son baiser. Si elle avait pu se hisser plus haut, elle n’aurait pas visé son menton. Sa bouche atterrit contre celui-ci. Elle sent sa peau légèrement râpeuse. Il est deux heures du matin, il n’est pas rasé. Lily aime bien cette sensation. S’il n’avait pas détourné la tête, elle aurait planté sa tente contre lui. Il n’ose pas la regarder. Paranoïaque et terrifiée qu’il la rejette qu’elle est, elle voit comme du dégoût dans ses yeux. Ses yeux descendent petit à petit jusqu’à leurs pieds. Elle non plus n’ose pas le regarder.

Ses grands yeux en amande sont remplis d’eau qu’elle tente de faire disparaître comme elle peut en clignant des paupières. Pour changer de sujet, elle propose plutôt un chocolat. Comme si cette boisson résolvait tous les problèmes. Evidemment, elle pouvait mettre ces larmes sur le dos des hormones complètement déréglées des femmes enceintes mais ça serait de toute façon trop flagrant. Soudain, elle se retrouve emballée dans la couverture chaude qui a pris depuis longtemps l’odeur du jeune homme. Lily inspire longuement en fermant les yeux mais les rouvre tout d’un coup en se rendant compte de ce qu’elle a sur les épaules.

« Mais Sky, tu vas p- »
« Je vais te faire des crêpes sans oeufs, tu vas voir. J'suis le MacGyver de la pâtisserie. Allez, va t'asseoir. »

Prendre froid. Mais apparemment, il se fiche de prendre froid. Le baiser sur son nez la fait rougir comme une pivoine mais elle se met à sourire doucement. A la fois dépitée et heureuse, elle le laisse tranquille et va sagement s’assoir sur une chaise devant la table. Alors qu’il cuisine sans se retourner, elle ne se prive pas pour le fixer. Ses cheveux délicieusement en bataille, sa nuque aux os saillants, son dos musclé. Elle aimerait se lever et aller le toucher, retourner dans ses bras. Si l’odeur des crêpes embaume l’appartement, Lily n’y fait pas vraiment attention. La jeune femme va pour se lever et retourner dans ses bras qui lui manquent déjà trop mais il se retourne avant elle, portant entre ses mains une assiette remplie de crêpes encore brûlantes. Les mains posées sur les genoux, elle l’observe sagement découper un bout de la première crêpe sur le tas et le replier sur la fourchette avant de le saupoudrer de sucre en poudre. A ses ordres, elle ouvre la bouche comme une enfant et attend de sentir la crêpe sur sa langue pour refermer la bouche dessus.

« Oh… C’est trop bon ! T’as mis de… de la vanille ? C’est super bon… J’en ai jamais mangé d’aussi bonnes… Merci, Sky ! »

Passant le bout de sa langue sur ses lèvres, elle lèche le reste des grains de sucre qui y restaient. Son sourire est resplendissant. Elle se redresse presque fièrement dans sa chaise et déchire un morceau de crêpe du bout des doigts avant d’y verser un peu de sucre. Sans la fourchette, elle le porte aux lèvres de Sky en riant presque.

« A toi, maintenant ! »

A peine a-t-il ouvert les lèvres, elle dépose le bout de crêpe sur sa langue, effleurant ses lèvres en écartant ses doigts. Elle sent son visage s’enflammer brusquement sous le coup de la gêne. Ses yeux hésitent un instant, ne sachant pas où se poser. Et puis, dans un élan irréfléchi et peut-être un peu trop inconsidéré, elle se redresse et scelle leurs lèvres brièvement. Mais très vite, elle s’écarte, pour qu’il ne la rejette pas. Nerveusement, elle prend la première crêpe déjà entamée et la roule avant de mordre dedans. Elle n’a pas particulièrement faim mais il lui faut quelque chose pour s’occuper les mains, l’esprit et surtout la bouche, l’empêchant ainsi de raconter n’importe quoi. Sans qu’elle s’en rende compte, de grosses larmes de crocodile coulent sur ses joues. Si elle les sent, elle n’y fait pas attention, trop concentrée sur ce morceau de crêpe qu’elle n’arrive pas à avaler.

▬ Ouvre grand, ma fée, et dis-moi si ça te convient.

À sa demande, Lily ouvrit la bouche pour laisser passer le morceau de crêpe que Tyler avait soigneusement replié sur les dents de la fourchette. Devant l'immense sourire satisfait de la jeune femme, Ty' ne peut que sourire à son tour, attendris par ce moment de joie éphémère.

▬ Oh… C’est trop bon ! T’as mis de… de la vanille ? C’est super bon… J’en ai jamais mangé d’aussi bonnes… Merci, Sky !
▬ J'ai mis du sucre vanillé, ça coûte trop cher la vanille. Content que ça te plaise.

À présent, les yeux de Tyler pétillaient plus que ceux de Lily. Alors qu'elle se léchait les lèvres pour en retirer le sucre, Ty vint essuyer délicatement ses commissures à l'aide de son pouce. Ben oui, le prétexte du baiser suivi du « Il te restait du sucre sur les lèvres », c'était atrocement banal. Et surtout très déplacé.

Lily, elle, ne semblait pas connaître ce qu'était la gêne. Mais après tout, ne dit-on pas que là où il y a de la gêne, il n'y a pas de plaisirs..? D'un geste presque enfantin, elle déchire un morceau de crêpe et le saupoudre de sucre à son tour. Elle porta la friandise aux lèvres de Ty en s'écriant:

▬ A toi, maintenant !

À ce moment, Tyler ne put s'empêcher de sourire. Il s'accroupit, pour se retrouver au même niveau que Lily et il la laissa déposer le morceau de crêpe entre ses lèvres. Il sent aussitôt un malaise entre lui et la jeune femme, surtout dans le regard de Lily, qui semble ne plus savoir où poser ses yeux. Ty voulut caresser la joue de la jeune femme, pour la rassurer mais il n'en n'eut pas le temps. Elle se redressa soudainement et vint poser sa bouche sur celle de Tyler pour se retirer presque immédiatement. Surpris, le jeune homme écarquilla les yeux et se laissa tomber mollement sur les fesses. Il toucha ses lèvres du bout des doigts avant d'y passer sa langue pour goûter, secrètement, encore un peu celles de Lily.

Ty' releva les yeux vers la jeune femme qui semblait troublée. Elle prit une crêpe entre ses doigts, la roula et mordit dedans à pleine dent. Puis, des larmes se mirent à couler sur ses joues pendant qu'elle mastiquait encore. Elle ne prit même pas la peine de les essuyer. Tyler eut alors une idée. Complètement stupide mais il en fallait bien une. Il se releva lentement et alla jusqu'au frigo pour en sortir une barre de chocolat au lait. Il la posa dans un bol et la laissa fondre au micro-ondes quelques secondes. Pendant ce temps, il fouilla les armoires de sa cuisine pour retrouver sa douille. Lily ne devait pas vraiment comprendre ce qu'il fabriquait. « Ting ! » Le chocolat était fondu. Ty versa le contenu du bol dans la douille. Ensuite, il souleva la petite plaque de marbre qui traînait sur le plan de travail et il la posa sur la table, juste devant Lily. Il se saisit de la douille - le chocolat était encore brûlant - et poussa dessus pour que le chocolat en sorte. Avec un peu de maladresse, il réussit à écrire trois mots en chocolat. Au contact du marbre, le précieux liquide refroidit immédiatement et reprit son état solide. Comme quoi avoir passé des mois à déprimer devant les cours de cuisine ne s'était pas avérer complètement inutile. Tyler tourna la plaque dans le bon sens, pour que Lily puisse lire le message.

« Close your eyes »

Quand elle eut fermé les yeux, il essuya délicatement les larmes qui avaient ruisselé sur ses joues. Il cassa un petit morceau de son message en chocolat, en gardant un oeil sur Lily pour qu'elle ne triche pas. Ty' plaça le fragment entre ses lèvres et plaça ses doigts sous le menton de Lily-Rose pour qu'elle tourne la tête vers lui. Il approcha son visage du sien et sa bouche vint rencontrer la sienne. Il laissa le baiser durer, oubliant un instant sa culpabilité et ses remords, si bien que le chocolat finit par fondre sur leurs lèvres. Tyler glissa lentement le bout de sa langue hors de sa bouche pour vérifier si le chocolat qui se trouvait sur les lèvres de Lily n'était pas meilleur. Définitivement, c'était bien le cas.

Tyler se résigna enfin à éloigner son visage de celui de Lily. Il tourna la tête pour essuyer le chocolat d'un revers de main avant de poser à nouveau son regard sur la jeune femme. Il essaya de lui sourire mais les yeux de Lily, rougis par les larmes, lui fendirent le coeur. Finalement, il ne put lui faire qu'une grimace. Il posa ses paumes sur les joues de la jeune femme, se retenant de la serrer contre lui.

▬ Pourquoi tu ne me dis pas simplement.. ce que tu as sur le coeur..?

Je t’aime à en crever tes pneus pour que tu restes là Skinny.lOve

« J'ai mis du sucre vanillé, ça coûte trop cher la vanille. Content que ça te plaise. »

En voyant ses yeux pétiller, Lily-Rose a l’impression d’être la plus heureuse du monde. Elle le laisse s’occuper d’elle comme un bébé, ravie d’être enfin le centre de son attention. S’il ne restait plus personne d’autre qu’eux sur Terre, elle serait quand même heureuse. Terriblement heureuse. Ce petit geste, passer le bout de ses doigts sur ses lèvres, au lieu du sempiternel baiser avec l’excuse qu’elle avait encore du sucre sur les lèvres la ravie. Ce qu’elle adore encore plus, c’est qu’il se prête à son petit jeu. Il s’agenouille devant elle et ouvre la bouche, la laissant déposer le bout de crêpe entre ses lèvres. Quand elle y goûte, ses lèvres ont un goût de sucre, de vanille et de quelque chose d’autre. Quelque chose qu’elle est incapable de décrire mais qui vient de Sky. Elle a bien vu son geste entamé pour lever une main vers elle mais, sans le savoir, elle l’a en quelque sorte devancé. Si elle le voit tomber doucement sur les fesses, sur le carrelage froid de la cuisine, elle n’arrive pas à l’aider. Ses mains tremblent déjà trop quand elle saisit la crêpe, alors elle ne pourrait sans doute pas l’aider. Admettons qu’elle arrive à prendre sa main, elle le laisserait sans doute retomber par manque de force.

Elle est même incapable de mâcher la crêpe et manque de s’étouffer avec la première bouchée. Autour d’elle, Sky s’active avec une sorte de précipitation fébrile mais elle ne le regarde pas. Trop peur de savoir ce qu’il fait. Qui sait, il est peut-être en train de lui faire ses valises pour la jeter dehors. Il n’a sûrement pas dû apprécier son geste si spontané et ne veut plus jamais entendre parler d’elle. Un bruit de sonnette, une odeur entêtante de chocolat. Malgré son goût poussé pour le chocolat, cette odeur l’écœure plus qu’autre chose. Par dégoût, elle cesse de manger, avale ce qu’elle a dans la bouche et balance le reste dans l’assiette. Plongeant son visage dans ses mains, elle appuie fort sur ses yeux pour tenter de se calmer. Ainsi, elle ne voit pas ce que fait Sky. Quand elle écarte ses mains et ouvre les yeux, un « Close your eyes » l’accueille. Oh. Brièvement, elle lève vers lui un regard d’incompréhension. Il a l’air beaucoup plus sûr de lui qu’elle ne l’est d’elle. Alors sagement, elle ferme les yeux, haletant encore un peu d’avoir pleuré. Les mains posées sur ses genoux, elle attend avec patience que Sky ait terminé ce qu’il faisait. Ses paupières tremblent. Elle aimerait bien voir ce qu’il fait mais sait pertinemment qu’il la surveille. Quand elle n’entend plus de bruit, elle entrouvre une paupière mais pas assez longtemps pour y voir clairement. D’une voix tremblante et douce, elle murmure :

« Sky ? Qu’est-ce que tu fais ? Je peux ouvrir les yeux ? … Hey, t’es l- »

Pas le temps de terminer sa phrase. Une paire de lèvres viennent de se poser sur les siennes. Ça et un quartier de chocolat entre celles-ci. De surprise, ses yeux s’ouvrent brusquement. Et ce baiser la déstabilise tant qu’elle en oublie de refermer les yeux. A la place, elle prend le carré entre ses lèvres mais ne s’écarte pas. Elle ne voudrait jamais s’écarter. Le baiser dure tant et si bien que le chocolat fond entre leurs lèvres et que, dans une dernière pression de ses lèvres, c’est Sky qui s’écarte le premier. Juste avant qu’il ne s’éloigne, elle a senti le bout de sa langue sur ses lèvres, lapant un peu de son chocolat. Malgré ses yeux rouges vifs et encore irrités, elle ne pleure plus. A son tour, elle passe le bout de sa langue sur ses propres lèvres pour les nettoyer. Elle le fixe ensuite inlassablement, jusqu’à ce qu’il la regarde de nouveau. Au moment où elle veut lui sourire, elle perçoit sa grimace triste et cette idée le quitte immédiatement. Sky est à sa hauteur. Il pose ses mains sur ses joues.

« Pourquoi tu ne me dis pas simplement.. ce que tu as sur le coeur..? »
« Parce que… t’as pas besoin de ça. T’as jamais eu besoin de moi, tous ces mois. J’étais pas censée être là. Si on avait pas fait une connerie, ça se serait terminé aussi vite que ça a commencé et… t’aurais pas à t’occuper de moi. Faut que tu t’occupes surtout de toi et tu le fais pas. Même si t’as l’air d’aller mieux… Tous les matins, quand je me lève, j’ai peur de te voir prostré dans ton lit, à pleurer comme la première fois qu’on s’est revus. Et quand j’te vois souriant et toujours gentil, j’me dis que c’est fini tout ça, que peut-être un jour, je serais la fille qui te rendra heureuse, même si… »

Furieuse d’être incapable de s’exprimer, elle serre ses mains l’une contre l’autre et grimace elle aussi. Sa voix ressort, plus forte et plus aigue :

« Oh puis merde ! Je t’aime. Depuis le début… »

Sa bouche se referme. Elle halète comme si elle venait de courir un Marathon. Mais elle n’ose pas le regarder. Tout sauf lui. Dans un réflexe presque défensif, elle ramène ses mains contre son ventre, crispée, dans l’attente d’une réponse plus négative que positive.

▬ Sky ? Qu’est-ce que tu fais ? Je peux ouvrir les yeux ? … Hey, t’es l-

Lily n'a pas le temps de terminer sa phrase que ses lèvres sont ensevelies sous celles de Tyler et sous le chocolat. Un long baiser, qui ne semble pas trouver de fin - et c'est tant mieux - s'en suivit. Ty' avait du mal à s'éloigner de Lily, il aurait tellement voulu que ce moment, si précieux, dure éternellement. Mais c'était peut être justement sa brièveté qui le rendait si unique. Tyler éloigna alors ses lèvres et, avec toute la délicatesse du monde, il prit le visage de Lily entre ses mains, comme s'il craignait qu'elle se laisse tomber. D'une voix douce, il tenta d'entamer un dialogue.

▬ Pourquoi tu ne me dis pas simplement.. ce que tu as sur le coeur..?
▬ Parce que… t’as pas besoin de ça. T’as jamais eu besoin de moi, tous ces mois. J’étais pas censée être là. Si on avait pas fait une connerie, ça se serait terminé aussi vite que ça a commencé et… t’aurais pas à t’occuper de moi. Faut que tu t’occupes surtout de toi et tu le fais pas. Même si t’as l’air d’aller mieux… Tous les matins, quand je me lève, j’ai peur de te voir prostré dans ton lit, à pleurer comme la première fois qu’on s’est revus. Et quand j’te vois souriant et toujours gentil, j’me dis que c’est fini tout ça, que peut-être un jour, je serais la fille qui te rendra heureuse, même si…

Lily venait de débiter un nombre impressionnant de mots en moins d'une minute. Quoi qu'il en soit, Tyler ne la lâcha pas un seul instant et garda ses yeux rivés sur les lèvres de la jeune femme. Il la sentit se laisser aller, soudainement.

▬ Oh puis merde ! Je t’aime. Depuis le début…
▬ Lil'...

La jeune femme était à bout. Crispée, elle posa nerveusement ses mains sur son ventre, comme si c'était la dernière chose à laquelle elle pouvait encore s'agripper. Elle évitait le regard de Tyler à tout prix. Il soupira longuement, sans oser la toucher. Au bout de quelques secondes interminables à la regarder agoniser de l'intérieur, il murmura:

▬ On va laisser tomber les crêpes...

Tyler décida de laisser l'assiette au milieu de la table. De toute façon, il n'avait pas de chat donc pas de voleur de crêpes. Il fléchit légèrement les genoux et posa un léger baiser sur la tempe de Lily, avant de glisser ses bras en dessous d'elle et de la soulever. Il traversa la cuisine, le couloir et la porta jusqu'à sa chambre où il la déposa doucement sur le lit. Malgré la pénombre, il ne rata pas son coup. Tyler vint alors s'installer aux cotés de la jeune femme et, en pressant légèrement sa joue, l'obligea à le regarder.

▬ Tu ne vas sûrement pas y croire mais j'ai besoin de toi. Sans doute que si les choses s'étaient passées autrement, je n'en n'aurais jamais rien su mais si elles se sont déroulées ainsi, c'est que je devais en prendre conscience. J'ai jamais été aussi heureux depuis un an.

À cette pensée, Tyler baissa les yeux. C'est vrai qu'avant que Lily lui annonce qu'il allait être papa, il avait eu comme un trou noir. La tristesse avait embué sa mémoire pour qu'il souffre moins, sans doute. Il avait toujours réfuté l'idée de pouvoir être à nouveau heureux et là, Lily lui apportait le bonheur sur un plateau d'argent.

Tyler faufila ses doigts sur le bas ventre de Lily et glissa sa main sous son long t-shirt pour le faire remonter jusqu'à sa poitrine. Son énorme ventre était à présent découvert et Ty ne put s'empêcher d'y déposer sa paume. Il perçut un léger mouvement et un sourire se dessina sur ses lèvres. Lèvres qu'il alla aussitôt coller sur le ventre de Lily, puis dans son cou et finalement, sur sa joue. Tyler écarta une mèche de cheveux du visage de la jeune femme puis, il dit à voix basse:

▬ Je.. je vous aime tous les deux, toi et bébé mais... je sais pas si tu seras capable d'attendre que j'aille vraiment bien. Ça doit te paraître stupide que je reste fidèle à Maëlys alors qu'elle est morte mais tout n'est pas mort avec elle. Et je ne veux pas profiter de toi encore une fois, parce que je tiens vraiment à toi, Lily.

Tyler se pencha au dessus de Lily, et leur visage étaient si proches l'un de l'autre que leur nez se touchaient. Ty fixa très sobrement la jeune femme, comme s'il voulait lui prouver que ce qu'il disait était vrai. Et c'était vrai. Après tout, comment aurait-il pu feinter un sentiment qu'il croyait disparu..?

Je t’aime à en crever tes pneus pour que tu restes là Skinny.lOve

Ce n’est pas un regard d’espoir que Lily-Rose lève sur Sky après une déclaration qu’elle trouve déjà pitoyable. Au contraire, elle baisse les yeux sur leurs pieds. Recroquevillée sur son ventre, elle sent tout son corps se tendre. Qu’elle idiote elle a été de lui avouer ça. Comme s’il avait besoin de ça maintenant, juste de repos et de douceur, pas d’une fille au bord du gouffre qui lui avoue qu’elle l’aime. Elle l’entend l’appeler mais sa voix est lointaine, comme s’il se trouvait à des années lumières d’elle, si bien qu’elle ne peut pas lui répondre. Ses mâchoires sont tellement serrées qu’elle n’arrive pas à les détendre assez pour ouvrir la bouche et émettre un son autre qu’un hurlement. Si elle ouvre la bouche, elle va hurler, elle le sait, alors mieux vaut qu’elle la garde fermée. A nouveau, sa voix perce à travers le silence que Lily a fini par trouver affreusement bruyant. Cette fois, elle ne comprend même pas ce qu’il dit, trop occupée à essayer de reprendre son souffle. Mais à chaque fois qu’elle essaye, son cœur se resserre et l’empêche de respirer pendant quelques millisecondes. Et plus elle essaye, moins elle y parvient. Tout ce qu’elle sait, c’est que quelques secondes plus tard, elle n’est plus assise sur la chaise. Ce sont les bras de Sky qui l’entourent. Elle est toute entière contre lui et son odeur si particulière l’envahit. Dans ses bras, elle arrive à mieux respirer. La tête posée au creux de son cou, elle se laisse porter jusqu’à la chambre. Pendant un instant, elle a peur qu’il ne la ramène dans cette chambre qu’elle a quittée quelques heures plus tôt mais il ne le fait pas. C’est dans son lit qu’il va l’allonger avec beaucoup de précaution. Automatiquement, elle roule sur le côté. Le matelas du lit s’enfonce à côté d’elle puis, une main vient faire tourner sa tête. Elle ne rechigne pas, même si elle préfèrerait ne pas avoir à écouter ce qu’il a à lui dire car ce ne sera forcément pas bon.

« Tu ne vas sûrement pas y croire mais j'ai besoin de toi. Sans doute que si les choses s'étaient passées autrement, je n'en n'aurais jamais rien su mais si elles se sont déroulées ainsi, c'est que je devais en prendre conscience. J'ai jamais été aussi heureux depuis un an. »

Effectivement, elle n’y croit pas. Qui aurait besoin d’une femme tombée accidentellement enceinte. Elle ne fait que l’encombrer depuis le début, ce n’est pas une nouveauté. Malgré tout, le fait de lui dire qu’il n’a jamais été aussi heureux depuis un an – même si elle aurait aimé l’entendre dire depuis toute sa vie – réussit à la décrisper légèrement. Et si la réponse n’était pas aussi négative qu’elle ne l’imaginait ? Se prenant à s’imaginer que ces sentiments sont réciproques, elle ne se rend pas tout de suite compte des gestes de Sky. Quand elle en prend conscience, elle se met à gigoter légèrement, rougissant à vue d’œil. Mais qu’est-ce qu’il fout ? Difficilement, elle tente de ne pas broncher quand il soulève son t-shirt pour dévoiler son ventre. Même Bidule n’aime pas qu’il fasse rougir sa maman. Alors à peine a-t-il la main posée sur son ventre que la crevette envoie un grand coup de pied – ou de poing – droit dedans. Maman grimace légèrement mais sourit. Un petit sourire qui redresse à peine les coins de ses lèvres. Il aura fallu que Sky rende sa maman triste pour que Bidule se réveille. Quel étrange petit bonhomme. Apparemment, les menaces ne fonctionnent pas car Sky vient poser ses lèvres sur son ventre, exactement à l’endroit où elle a senti le coup. Décidemment, ils se sont donné le mot pour rendre la future maman mal à l’aise. Mais heureusement, c’est le plus grand qui cède en premier et vient l’embrasser dans le cou, puis sur la joue. Elle est dans l’expectative, mais non, pas d’autres coups de pied. Involontairement, elle soupire tandis qu’il passe une main dans ses cheveux, écartant par là même ceux qui barraient son visage. D’un geste presque timide, elle pose une main sur sa joue et plonge son regard dans le sien.

« Je.. je vous aime tous les deux, toi et bébé mais... »

Le visage de la jeune femme se décompose. Dans un vrai conte de fées, il n’est pas censé y avoir de « mais » et ne l’a-t-il pas appelé sa fée, quelques minutes plus tôt ? La main qui caressait sa joue s’interrompt et elle la laisse mollement retomber sur le matelas. C’était trop beau pour être vrai. Soudain, il est trop proche, beaucoup trop proche d’elle. Elle se sent mal, voudrait l’écarter mais n’a même pas la force de lever les bras.

« Des milliers de gens meurent de cancers tous les jours. Et tu sais ce qu’il reste après ? Rien. Juste eux dans une boîte à trois pieds sous terre. Et pour leur entourage, rien d’autre que de la peine. Faudrait que t'arrives à en parler au passé. Faudrait que t'arrives à ne plus penser à ça. Faudrait que t’arrêtes d’y penser à longueur de journée. Dis-toi qu'elle est de l'autre côté du pôle. Dis-toi qu’elle ne reviendra pas. »

De petites larmes coulent de nouveau de ses yeux, derrière ses oreilles et vont se prendre dans ses cheveux. Elle se prend à penser qu’elle aurait aimé ne jamais le connaître, ne pas le rencontrer, ne pas le remarquer. Tout aurait été plus simple. Ce manque perpétuel qu’il cause dans son cœur ne serait pas sans cesse présent. Cette perte totale de raison lorsqu’il s’agit de lui ne serait pas aussi terrifiante. Cet amour qu’il provoque en elle ne serait pas aussi dévastateur. Elle sait qu’elle l’aime, à tort, mais malgré tout. Et, indépendamment de sa volonté, cet amour ne cesse de s’amplifier. Lily entendrait presque d’ici sa meilleure amie lui dire qu’elle en rencontrera tellement d’autres et que, si ça se trouve, elle les aimera plus qu’elle ne l’a jamais aimé, lui. Dans le lot, il y aurait celui fait pour elle, celui qui saurait quoi dire que ça n'ira pas, qui terminerait ses phrases, qui pourrait rester des heures près d’elle, qui la trouverait belle dans n'importe quelle circonstance et qui l'aimerait plus que tout. Mais bizarrement, Lily s’en fout. C’est Sky qu’elle veut. Avec tous ces défauts, ses erreurs, ses sourires, ses blagues, son ironie, son caractère de merde, ses manies. Peu lui importe s’il ne la rend jamais heureuse. Et peu lui importe les autres garçons, ils ne seront jamais lui. Revenant à elle soudainement, elle le fixe toujours. Leurs nez s’effleurent presque agréablement.

« Je suis prête à t'attendre pendant un temps démesurément long, le temps que tu comprennes. Je suis prête à sacrifier toute ma vie pour juste un jour apprendre qu’enfin, le déclic est arrivé. Pour juste entendre dire que tu tiens à moi, que c'est clair aujourd'hui, et que la seule personne qui a toujours été là pour toi et que tu veux à tes côtés pour réaliser tes rêves et pour te relever quand tu tombes, c'est moi. Je suis prête à passer à côté d'un nombre de choses et un nombre de gens ridiculement énorme, juste pour être certaine que jamais, jamais je ne passerai à côté de toi. »

Elle referme la bouche, pour reprendre son souffle, se rendant compte de ce qu'elle a lâché. C'est pourtant la vérité, c'est absolument ce qu'elle pense.

▬ Des milliers de gens meurent de cancers tous les jours. Et tu sais ce qu’il reste après ? Rien. Juste eux dans une boîte à trois pieds sous terre. Et pour leur entourage, rien d’autre que de la peine. Faudrait que t'arrives à en parler au passé. Faudrait que t'arrives à ne plus penser à ça. Faudrait que t’arrêtes d’y penser à longueur de journée. Dis-toi qu'elle est de l'autre côté du pôle. Dis-toi qu’elle ne reviendra pas.

Ils sont marrants, les gens. Et Lily l'est encore plus. Est ce que tous ses proches pensent sincèrement que Tyler croit que Maëlys est encore vivante ? Bien sûr qu'il sait qu'elle est morte, qu'elle est six pieds sous terre et qu'elle ne risque pas de revenir d'entre les morts. « Hey, salut Tyou ! Au fait, le cancer, c'était une petite blague. I'm back ! Et si on s'envoyait en l'air ? » Ça faisait un moment qu'il ne se faisait plus ce genre de film et avec son petit discours, Lily remuait le couteau dans la plaie. Ça faisait mal mais c'était peut être une douleur positive. Cependant, elle faisait tellement mal que Ty' ne se sentit plus capable de garder la tête haute. Il se laissa lourdement tomber dans le matelas et enfouit son visage dans son oreiller, à se demander ce qu'il allait faire. Certes, il ne pouvait plus aimer une morte mais ses sentiments avaient été si forts qu'il avait la sensation d'être incapable de s'en débarrasser. Mais il savait que ça passerait, avec le temps, et que ça irait encore mieux avec Lily.

▬ Je suis prête à t'attendre pendant un temps démesurément long, le temps que tu comprennes. Je suis prête à sacrifier toute ma vie pour juste un jour apprendre qu’enfin, le déclic est arrivé. Pour juste entendre dire que tu tiens à moi, que c'est clair aujourd'hui, et que la seule personne qui a toujours été là pour toi et que tu veux à tes côtés pour réaliser tes rêves et pour te relever quand tu tombes, c'est moi. Je suis prête à passer à côté d'un nombre de choses et un nombre de gens ridiculement énorme, juste pour être certaine que jamais, jamais je ne passerai à côté de toi.

Tyler étouffa un hoquet. Il se retint de pleurer juste à temps. Il se dit que si Lily perçoit le moindre sanglot, elle va encore croire qu'il pense à Maëlys. Alors qu'il est juste ému. Ça lui faisait pas mal d'émotions en une seule soirée l'air de rien et son coeur n'était plus habitué à battre de bonheur. Il se releva, soudainement, sans regarder Lily et s'assit sur le bord du lit. Il prit une grande inspiration et se leva. D'un pas rapide et un peu raide, il sortit de la chambre et ferma la porte. Il se dirigea machinalement vers le salon et souleva la dernière caisse qui y traînait. Dedans, quelques vêtements de Maëlys et des photos. Plein de photos d'eux, heureux, qui faisaient parties du passé. Il revint sur ses pas et entra à nouveau dans la chambre avec la caisse dans les bras. Il dût se pincer les lèvres pour ne pas pleurer.

▬ Je vais le jeter demain, c'est le dernier carton. Et J'ai décidé TOUT SEUL, tu comprends ? J'ai pas demandé l'avis de l'âme de Maëlys et ce n'est pas un acte de pitié vis à vis de toi non plus. J'ai décidé d'avancer, ça sera pas facile, mais ça sera plus simple si je suis plus léger.

Tyler sortit à nouveau et traversa le couloir pour aller déposer la caisse devant la porte d'entrée. Il la jetterait demain, comme promis. Il soupira longuement puis, comme il était sur le point de craquer, il se laissa glisser contre le mur et se mit à pleurer, doucement, sans faire de bruit. Au bout de quelques minutes, c'était terminé. Son visage était légèrement rougi mais dans le noir, Lily ne verrait rien. Il retourna dans la chambre et se glissa sous les draps, à coté de Lily. Il sentait sa chaleur non loin de lui mais il ne savait plus ce qu'il devait faire. Lui qui s'était montré si confiant un peu plus tôt se retrouvait désarmé face aux sentiments fraîchement avoués d'une femme enceinte. Couché sur le dos, il était figé. Il fixait le plafond sans y trouver un grand intérêt. Les ombres sur les murs l'effrayaient alors, comme un enfant, il s'enfonça un peu plus sous les draps. Il sentit que son bras touchait la peau de Lily, mais quant à savoir quelle partie du corps.. Il n'osait même pas tourner la tête. Il eut même du mal à retrouver l'usage de la parole.

▬ Je ne sais pas si tu as autre chose à me dire..? Ou si tu préfères qu'on en rediscute demain. Personnellement, j'me sens un peu.. perdu...

Tyler poussa un long soupir un peu saccadé. Il avait peur de ce qu'allait faire Lily. Il avait peur de ne pas savoir, de ne pas la connaître assez pour prévoir ses gestes et se rassurer lui-même. Allait-elle quitter son lit ? Se coller au bord opposé pour être loin de lui ? Le prendre dans ses bras ? L'engueuler ? Lui en vouloir de ne pas être capable de lui avouer ses sentiments ? Partir définitivement ? Ouai, il flippait.

Je t’aime à en crever tes pneus pour que tu restes là Skinny.lOve

A peine a-t-elle prononcé ces mots que Lily-Rose sait qu’elle aurait mieux fait de se taire. Remuer le couteau dans la plaie, sauter à pieds joints dans les emmerdes et raconter des conneries qu’elle ne pense qu’à moitié, c’est tout son genre. Bien sûr, elle aimerait qu’il l’oublie parce qu’elle est morte et que, peu importe qu’il le souhaite de toute son âme, elle ne reviendra pas. Mais elle ne croit pas un seul instant qu’elle n’est juste plus qu’un cadavre dans un cercueil. Elle ne l’a jamais cru, pour personne, mais c’est la première fois qu’elle est face à ce genre de situation. C’était peut-être l’âge, mais Nolan n’a jamais eu ce problème. Il a toujours considéré la mère de Lily comme la sienne aussi. Et leur père ? Est-ce qu’il pensait toujours à sa première femme ? On dit qu’on n’oublie jamais son premier vrai amour, qu’on l’aime toujours, jusqu’à la fin. A nouveau, cette pensée lui serre le cœur. Elle voudrait pouvoir se l’arracher et le jeter très loin, ce foutu cœur, pour qu’il arrête de lui faire si mal. Sky, lui, se laisse lourdement tomber dans l’oreille et y cache son visage. Elle voudrait le secouer, de la regarder et de lui dire que ça va aller. Que tout ira bien en tout point. Et surtout que lui irait bien, qu’il se relèverait et ne pleurerait plus jamais. Mais alors qu’elle voudrait juste se taire et avaler son oreiller, d’autres mots franchissent sa bouche.

Sky étouffe un sanglot. Mais allez savoir s’il pleure en pensant à Maëlys ou s’il y a une autre raison. Lily ne réfléchit même plus. C’est tellement facile de mettre son esprit sur pause et de fixer insensiblement le plafond en se disant qu’à force, on va bien finir par s’endormir. C’était sans compter les mouvements du jeune homme. Faisant sursauter la métisse, il se redresse puis se lève avec un long soupire. Les yeux mi-clos, elle l’observe jusqu’à ce qu’il quitte la pièce et ferme la porte. Pas un seul instant, il ne lui vient à l’idée de le suivre. Il a besoin d’être seul, sans doute, et elle ne veut plus l’embêter. Elle entend ses pas s’éloigner petit à petit jusqu’à disparaître. Puis ils reviennent, encore plus rapides qu’auparavant. Quand il rouvre la porte, elle sursaute et se redresse jusqu’à pouvoir s’appuyer sur ses bras pour soutenir son dos. La lumière du couloir l’éblouit. Sky est une silhouette noire qui se dévoile petit à petit, tenant dans ses bras un carton. Lily grimace. La lumière l’empêche de vraiment le regarder mais sa voix lui parvient très claire :

« Je vais le jeter demain, c'est le dernier carton. Et J'ai décidé TOUT SEUL, tu comprends ? J'ai pas demandé l'avis de l'âme de Maëlys et ce n'est pas un acte de pitié vis à vis de toi non plus. J'ai décidé d'avancer, ça sera pas facile, mais ça sera plus simple si je suis plus léger. »

Et il ressort sans même lui laisser le temps de répondre. Comme une masse, elle se laisse tomber sur le matelas et se tourne sur le côté, faisant face à la place qu’a Sky d’habitude. Elle tente de ne pas penser, ne penser à rien d’autre que des choses simples et agréables. Un feu de cheminée, la nourriture de son frère, ses chats, un parfait aux fraises, de la musique, les cours, Athéna et Bidule. Elle aimerait bien une petite fille. Comment pourrait-elle bien l’appeler ? Sofia, peut-être. Ou quelque chose de plus compliqué, comme son prénom. Mais c’est Sky qui s’y connait en prénom original, pas elle. Elle se promet de ne pas oublier de lui demander demain sinon va arriver le jour de l’accouchement et quand on leur demandera comment ils veulent l’appeler, ils n’auront toujours rien choisi. Lily-Rose commence à somnoler. Mais c’est cette sensation de chute qui la réveille. Elle tourne la tête en gémissant. Sky s’est rallongé à côté d’elle. Sa main effleure les reins de la future maman. Elle ne bronche pas. Derrière elle, il remue légèrement puis s’arrête et le silence retombe sur eux pendant un court instant.

« Je ne sais pas si tu as autre chose à me dire..? Ou si tu préfères qu'on en rediscute demain. Personnellement, j'me sens un peu.. perdu... »
« Prends ma main, alors… j’suis toujours là, moi. »

Tout doucement, elle lui tend sa main, paume orientée vers le plafond. A lui de décider s’il veut lui prendre la main ou pas. Quand enfin, elle sent sa main dans la sienne, elle l’enveloppe de ses doigts et la serre doucement. Au moment où elle ouvre de nouveau la bouche pour parler, un grattement à la fenêtre la fait sursauter. Sans lâcher la main de Sky, elle redresse la tête. Un chat à la fenêtre. Même dans le noir, elle le distingue facilement. En équilibre sur la rambarde de la minuscule terrasse, il gratte doucement à la fenêtre pour qu’on le laisse entrer. Lâchant à contrecœur la main de Sky, elle se lève et va lui ouvrir. C’est un petit chat couleur écaille de tortue qui saute à l’intérieur de la chambre. Avant qu’il ne puisse aller plus loin, Lily le prend dans ses bras. Il ne se débat pas. Au contraire, se frotte à elle en ronronnant. Caressant sa petite tête, Lily sourit et lui dépose un petit baiser sur le nez.

« Hey… t’es mignon, toi… D’où tu viens comme ça ? Oh, t’as faim, surtout, hein. T’es trop chou… Hm, Sky, on peut le garder ? On peut pas le laisser ressortir par ce froid… Promis, je m’en occuperais toute seule, mais s’il te plait, laisse-moi le garder. »

Voilà Lily retombée en enfance. Comme la première fois qu’elle a trouvé Zephyr, dans un arbre de leur jardin, incapable de descendre. Elle a dû grimper pour le récupérer et il lui a griffé le cou. La cicatrice y est toujours. Moins présente mais en souvenir de sa rencontre avec son chat. Elle s’assoit sur le lit avec le chat toujours dans les bras. Il n’a ni collier ni tatouage alors il doit être errant. Elle jette de grands yeux implorants au jeune homme allongé dans le lit et lui pose doucement le petit chat sur la poitrine. Puis, elle s’allonge aussi et sa tête se pose pile sur l’épaule de Sky. Tandis que le chat s’est assis sur lui, Lily reprend doucement sa main et murmure :

« Tu peux pas te permettre de te perdre parce que sinon, je vais te suivre et me perdre aussi. Mais si c’est le cas un jour… j’pourrais rester avec toi ? J’ai trop besoin de toi pour ne pas t’accompagner. »

Un petit sourire colore ses lèvres alors qu’elle caresse sa main du pouce. Elle ne le regarde pas, concentrant toute son attention sur le chat qui s’allonge lentement sur le ventre de Sky, prenant toute la place possible et imaginable. Elle se redresse légèrement et approche son visage. Il tend la tête vers elle et la frotte contre sa joue en ronronnant de plus belle. Ce geste la fait rire doucement.

« Je crois qu’il nous a adoptés. »

▬ Prends ma main, alors… j’suis toujours là, moi.

Tyler aperçut la main de Lily dans la lueur de la lune, filtrant par la fenêtre. Il avait oublié de baisser le volet. Il soupira longuement en se disant qu'à force de se rapeller de Maëlys, Lily ne pouvait plus s'empêcher de faire des allusions à son sujet et à son état de « non-existence ». Ou alors il devenait complètement parano. Dans le doute, il prit la main de la jeune femme et il sentit ses doigts se resserrer. Il n'osait rien dire mais ne savait pas quoi dire non plus lorsque, soudain, un léger grattement attira son attention. Il tourna la tête vers la fenêtre en même temps que Lily. La jeune femme se releva quand elle aperçut un chat dehors. Il y en avait quelques uns qui s'incrustaient chez Ty' lorsqu'il avait le malheur de laisser la porte ouverte. Le jeune homme pensait que Lily se contenterait de faire peur à l'animal pour qu'il s'en aille, mais non. Elle ouvrit la fenêtre et laissa le chat entrer. Tyler se releva pour râler mais il se contint. Lily prit le chat dans ses bras et commença à lui marmonner quelque chose avant de se retourner vers Ty'.

▬ Hm, Sky, on peut le garder ? On peut pas le laisser ressortir par ce froid… Promis, je m’en occuperais toute seule, mais s’il te plait, laisse-moi le garder.
▬ Par ce froid ? On vit à L.A, Lily ! Tu fais c'que tu veux tant qu'il fout pas des poils sur mes vêtements et qu'il fait pas caca partout.

Tyler gonfla les joues et se laissa lourdement tomber dans son oreiller. Lily vint s'asseoir dans le lit, avec le chat et le posa sur le ventre de Ty'. Ce dernier se raidit, comme si on venait de lui foutre un balais dans le derrière. Lily vint poser sa tête sur son épaule, comme si de rien n'était, tandis que le félin prenait ses aises. Ty' le dévisagea, horrifié puis, la voix de Lily le ramena à la réalité.

▬ Tu peux pas te permettre de te perdre parce que sinon, je vais te suivre et me perdre aussi. Mais si c’est le cas un jour… j’pourrais rester avec toi ? J’ai trop besoin de toi pour ne pas t’accompagner.
▬ HAN non ! Je voulais justement me débarrasser de toi juste après l'accouchement ! Ou alors, je te garderais mais uniquement pour te violer quand j'en ai envie.

Tyler déclara ça sur un ton très sérieux, bien qu'il ne pensait pas le quart de ce qu'il venait de lâcher. Mais Lily pourrait le prendre mal et tenter de l’étouffer avec son oreiller. Vu qu'il vaut mieux prévenir que guérir, Ty' ajouta:

▬ J'déconne, hein !

Tyler posa à nouveau ses yeux sur le chat ronronnant sur son ventre et éternua. Ces foutus poils.. Lily approcha son visage de l'animal qui se frotta aussitôt contre sa joue.

▬ Je crois qu’il nous a adoptés.
▬ Il a adopté la bouffe qu'il va pouvoir manger gratos, ouai. Tu vas l'appeler comment ?

Tyler poussa le chat sur le coté pour qu'il quitte son ventre. Le félin broncha à peine et se laissa glisser sur le matelas, entre Ty' et Lily. Le jeune homme le trouvait plutôt mignon mais il se garda bien de le dire. Il se contenta de choper un bout de couverture et de la remonter jusqu'à son cou, engloutissant le chat et la tête de Lily au passage. Tyler se glissa entièrement sous le drap et se tourna sur le coté pour faire face à Lily. Il remarqua seulement à ce moment là qu'ils se tenaient toujours la main. Ty sourit et s'approcha de Lily pour la prendre dans ses bras et déposer un long baiser dans son cou. Vu que le chat les observait, Ty' plaça sa main devant ses yeux.

▬ Arrête de mater.

Tyler embrassa, successivement, le front, les joues, le nez, puis le menton de Lily, comme il le faisait souvent. Restant en suspension à quelques millimètres à peine de son visage, il lui dit, hésitant:

▬ Bonne nuit..?

Je t’aime à en crever tes pneus pour que tu restes là Skinny.lOve

« Il a adopté la bouffe qu'il va pouvoir manger gratos, ouai. Tu vas l'appeler comment ? »

Ayant ignoré ses précédentes remarques, Lily hausse un sourcil tandis qu’un petit sourire apparaît sur ses lèvres en l’entendant. Si elle se tourne légèrement vers lui, elle ne fait aucune remarque. Elle est pourtant certaine qu’il ne déteste pas autant les chats qu’il veut le montrer. Observant longuement le chat, elle finit par hausser les épaules. Elle finirait bien par lui trouver un nom et si ce n’est pas le cas, tant pis, ils lui en inventeront bien quelques uns. En quelques secondes, le chat est tombé entre eux sans émettre la moindre protestation et elle est engloutie par la couverture que rabat Tyler sur eux. Son sourire s’élargit, et elle est obligée de se mordre l’intérieur des joues pour ne pas se mettre à rire niaisement. A la place, elle se blottit entre les bras de Tyler, parfaitement réveillée tout à coup. Dire qu’elle était à deux doigts de s’endormir quelques secondes avant. Là, c’est tout simplement mort. Les baisers de Tyler l’ont toujours faite frissonner et, une nouvelle fois, celui-ci n’échappa pas à la règle. Soupirant, elle passe un bras dans son dos et, du bout des doigts, s’amuse avec ses cheveux. Ce que Ty fait au chat la fait pouffer faiblement alors que le pauvre chaton essaye désespérément de regarder par-dessus sa main alors qu’il est bien trop petit pour le faire.

Alors qu’elle relève la tête, le visage de Tyler est soudainement très proche du sien. Sans savoir pourquoi – elle devrait avoir l’habitude, à force qu’il passe son temps à l’embrasser – elle rougit très vite et très fort et s’immobilise jusqu’à comprendre ce qu’il voulait faire. Quand enfin elle sent ses lèvres sur son visage, elle se détend subitement. Evidemment. Lily se trouve bien bête d’avoir réagi comme ça, mais heureusement, il ne semble pas avoir remarqué son moment d’incompréhension. Il faut dire que l’heure et la fatigue ne les aide ni l’un ni l’autre. Avec un petit sourire au coin des lèvres, elle écarte une à une les mèches brunes qui barrent le visage du jeune homme, concentrée sur sa tâche. Enfin, elle revient sur ses yeux. D’un mouvement un peu brusque, elle pose ses lèvres sur les siennes, mais ce geste est trop bref pour qu’elle puisse en profiter. Elle s’écarte et repose la tête sur l’oreiller, en acquiesçant.

« Oui, bonne nuit. »

Enfin, pour ce qui leur restait de nuit. Alors qu’elle voudrait bien un peu de calme, elle sent quelque chose tirer le bas de son t-shirt. Intriguée, elle se redresse. Le chaton s’est apparemment trouvé une occupation. C’est partagée entre l’amusement et l’exaspération qu’elle l’attrape par la peau du coup et le fait descendre du lit. Qui lui a dit que ce lit serait aussi le sien, quand même ? Une fois le chat par terre, sans doute mécontent d’avoir été viré sur le parquet, elle revient se presser contre Tyler. Son cœur bat un peu vite mais elle espère qu’il ne s’en rend pas compte. Elle s’endort bien après lui, l’ayant observé dormir un long moment. Et quand elle se réveille, le lendemain, c’est à cause du soleil qui tombe sur ses yeux pourtant clos. Elle a beau se tourner de l’autre côté, tout est beaucoup trop clair derrière ses paupières à présent. Soufflant, elle ouvre les yeux, face au réveil. Midi. La jeune femme se lève d’un seul coup. Si elle commence à être en retard en cours, que va donner le reste de l’année ? Elle sort de la chambre à toute allure et ce n’est que quand elle croise le chat dans le couloir qu’elle s’arrête net. La soirée de la veille lui revient en tête… et aussi le fait qu’elle n’a plus de cours pendant quatre mois, jusqu’à ce que son bébé ait trois mois. Perplexe, elle regarde ses pieds que le chat est venu piétiner. Doucement, elle bouge celui qu’il est en train d’écraser allègrement et il tombe mollement sur le côté avant de se relever pour revenir à la charge. Elle s’échappe à temps en ricanant et se dirige directement dans le salon.

« Y’a personne ? »

Et puis, elle attend quelques secondes qu’on lui réponde. Mais rien. Elle n’a pas entendu de bruit en passant à côté de la salle de bain. L’appartement est silencieux, un peu trop pour elle. C’est à grands pas qu’elle va s’exiler dans la cuisine, suivie par le chat. Encore lui. Ronchonnant un peu, elle va chercher des restes de poisson au frigo et les lui renverse dans une assiette qu’elle pose par terre, à côté de la porte. A vrai dire, elle ne sait pas vraiment si Tyler va rentrer. Il n’a pas laissé de mot, se contentant de déserter l’appartement. Peut-être qu’il ne rentrera pas de la journée et a juste oublié de la tenir au courant, mais juste par acquis de conscience, elle ouvre le placard. Décidément, elle a vraiment l’impression qu’ils passent leur temps à faire à manger. Enfin, pour faire à manger, il faudrait déjà avoir les ingrédients. Or là, elle n’a pas vraiment le choix. Du quinoa, de la sauce sésame, du gingembre et des haricots. Penser à aller faire les courses, de toute urgence. La jeune femme n’a jamais été une cuisinière hors pair. Au contraire, à part les pâtes et les plats surgelés, elle n’a jamais su faire quoi que ce soit. Faut dire, avoir un grand frère qui cuisine aussi bien qu’il l’emmerde – en gros, à la perfection – c’est très pratique et ce, même si on n’habite pas avec lui. C’est aussi très facile d’habiter chez un homme qui sait faire la cuisine, Tyler en l’occurrence, et c’est la fin du monde quand il a le malheur de s’absenter pour un repas et que les placards sont vides. Evidemment, elle pourrait descendre faire des courses elle-même mais : il est midi passé, elle a faim et a vraiment la flemme. Plutôt manger quelque chose de dégueulasse fait maison que descendre acheter ne serait-ce qu’un sandwich.

Lily jette un coup d’œil circulaire à la cuisine, réfléchissant à ce qu’elle pourrait bien faire avec ce peu d’ingrédients. Son regard s’arrête sur les crêpes. Une image s’impose à elle. Reste plus qu’à cuisiner et c’est une autre paire de manche. Mais finalement, après une bonne heure à batailler pour couper correctement les crêpes en carré, à cuire le quinoa tout doucement pour ne pas tout foirer et à doser la sauce comme elle pouvait et à enrouler la préparation dans les crêpes, elle dépose une grande assiette sur la table. Son plat lui parait correct, voire même complètement mangeable pour quelqu’un qui cuisine comme un pied. Finalement, voyant que Tyler ne revient toujours pas, elle quitte la cuisine, sans oublier de prendre le chat avec elle, au cas où il lui viendrait l’idée d’aller goûter ses crêpes et referme la porte derrière elle. L’odeur de quinoa a envie tout l’appartement mais c’est plutôt agréable. Malgré tout un peu inquiète de l’absence de Tyler, elle file sous la douche, toujours avec le chat. Celui-ci n’a pas l’air de détester l’eau, bien au contraire, il ne bronche même pas quand elle lui allume le jet sur la tête. Elle sort quelques vingts minutes plus tard, le chat encore un peu humide sous le bras. Tout est encore très silencieux mais, en repassant par le salon, elle remarque les chaussures de Tyler devant la porte. Et elles n’y étaient pas avant. Posant à la hâte le chat par terre, elle se précipite dans la cuisine et y entre avec un immense sourire.

« Ah ! T’es enfin rentré ! T’aurais quand même pu me laisser un mot… »

Lily-Rose vient se planter devant Tyler avec une petite moue boudeuse aux lèvres, qui se révèle encore moins convaincante quand le sourire reprend le dessus sur son visage.

▬ Hey ! Tyler !

Reconnaissant la voix, Tyler se retourne. Une jeune femme se tient derrière lui. Grande, élancée,... elle ne ressemble qu'à une ombre dans l'obscurité. Il est incapable de distinguer son visage jusqu'à ce qu'elle se trouve à un pas de lui. Il reconnait alors Maëlys mais elle a perdu son éternelle douceur. Ses traits sont marqués, ses yeux sont blancs, son sourire est atroce, sa peau est en décomposition avancée... Tyler la dévisage, horrifié. Là, Maëlys lève les bras et dans ses mains, une hache. Les lèvres de la jeune femme s'étirent comme une plaie béante et déchirent ses joues. Elle ricane. Ty est paralysé, il ne trouve pas la force de s'enfuir.

▬ Tu m'as trahie.

La voix de Maëlys est douce et délicate mais elle résonne comme une mélodie funèbre. Tyler a juste le temps de hurler lorsque Maë abaisse la hache à toute vitesse, la lame se plantant dans le visage de son ex-fiancé.

________________________________________

Tyler se releva en sursaut, étouffant un cri d'horreur lorsqu'il se rendit compte qu'il était dans sa chambre. De grosses perles de sueur dégoulinaient de son front et il peinait à récupérer son souffle. Ty' posa ses yeux sur Lily, qui dormait toujours paisiblement à coté de lui et n'avait pas été réveillée par les mouvements brusques. Tyler soupira, soulagé quand, soudain, une masse sauta sur ses genoux. Il sursauta à nouveau mais heureusement, ce n'était que le chat. L'animal se mit à observer Tyler d'une façon étrange. Le jeune homme gloussa et se précipita hors du lit. Il se dirigea rapidement vers la salle de bain et, une fois passé la porte, il la verrouilla. Il se déshabilla et entra dans la douche. Il se rinça à l'eau glacée, espérant pouvoir se nettoyer de sa culpabilité et effacer ce cauchemar.

Au bout de dix minutes, il sortit et se planta devant le miroir. Ses lèvres étaient devenues bleues, tout comme ses mains et ses pieds. Il ressemblait à un cadavre. Il ressemblait à Maëlys, quelques minutes après sa mort. Il s'habilla rapidement et se rendit dans la cuisine. Il n'avait pas faim et n'avait pas le coeur à cuisiner. Il jeta un coup d'oeil à l'horloge qui indiquait dix heures. Tyler avait besoin de prendre l'air, de s’échapper de cet appartement quelques heures.

Ty' sortit de l'immeuble en dévalant les escaliers. Il parcourut les rues sans trop savoir où il allait, où il voulait aller lorsqu'il passa devant une boutique de fleurs. Il était déjà venu ici. Il venait toujours ici pour acheter un bouquet de chrysanthèmes et le déposer sur la tombe de Maëlys. Il resta planté plusieurs minutes devant la vitrine à se demander ce qu'il allait faire. Peut être que passer par le cimetière lui éviterait d'autres cauchemars. Étrangement, il n'en n'était pas convaincu.

▬ Bonjour, monsieur Johnson. Je peux vous aider ?

Tyler releva la tête et sembla presque surpris qu'on lui adresse la parole. C'était la fleuriste de la boutique. Elle le connaissait depuis l'enterrement car il était devenu un client régulier à force de se rendre au cimetière toutes les semaines. Il n'était plus venu depuis plus d'un mois. Depuis que Lily vivait avec lui.

▬ Oh euh.. bonjour, pardon. Oui, je veux bien un conseil. J'aimerais offrir des fleurs à...

Tyler hésita. Allait-elle le juger si il disait qu'il avait déjà refait sa vie ? Ou serait-elle juste contente pour lui ?

▬ À ma petite amie..
▬ Oh.. Entrez !

La fleuriste ne semblait ni méprisante ni guillerette. Elle était juste surprise. Tyler la suivit dans la boutique et elle lui montra un nombre impressionnant de fleurs que Lily était « susceptible d'apprécier ». Ty' ne savait que choisir. En se retournant, il aperçut une minuscule fleur entre toutes les autres. C'était une orchidée, la plus commune. Une « Phalaenopsis » d'après le petit carton planté dans le terreau du mini pot.

▬ Oh ! Un bébé fleur !
▬ Vous avez trouvé votre bonheur ?
▬ Je pense bien, oui.

Tyler régla en liquide et sortit de la boutique avec cette orchidée miniature de couleur mauve. Sur le chemin du retour, il en profita pour aller acheter quelques cochonneries dans une pâtisserie. L'orchidée dans une main, le sachet rempli de bouffe dans l'autre, Tyler se mit à repenser à son cauchemar. À présent, il ne voyait plus Maëlys comme son premier amour, un souvenir indestructible,... Il la voyait comme un cadavre se décomposant dans un cercueil dont l'âme était bloquée par une énorme pierre en marbre sur laquelle était gravée son prénom, son nom, sa date de naissance et de mort. Juste en dessous se trouvait « Tyler Eden-Sky Johnson » ainsi que la date de naissance du jeune homme, la date de sa mort étant en suspend. Il venait seulement de comprendre ce que Lily avait tenté de lui expliquer par « Des milliers de gens meurent de cancers tous les jours. Et tu sais ce qu’il reste après ? Rien. Juste eux dans une boîte à trois pieds sous terre. ».

Tyler gravit les escaliers de l'immeuble plus facilement que d'habitude, comme s'il était plus léger. Il ouvrit la porte de l'appartement et s'avança dans le hall. Il entendit l'eau couler dans la douche. Ça devait être Lily. Ty' alla jusqu'à la cuisine et, en scrutant l'horloge, il fut surpris d'avoir traîné dehors aussi longtemps. Il déposa le sachet de la pâtisserie sur la table mais sur celle-ci trônait déjà une grande assiette. Dessus, il y avait des crêpes avec je-ne-sais-quoi dedans mais ça sentait pas mauvais. Depuis quand Lily cuisine ?

Lorsque Tyler entendit la porte de la salle de bain s'ouvrir, il planqua l'orchidée dans son dos. Lily fit son entrée avec le chat et vint se planter devant Ty' avec une mine boudeuse. C'est vrai qu'il ne l'a pas prévenu de son départ. Première dispute officielle ?

▬ Ah ! T’es enfin rentré ! T’aurais quand même pu me laisser un mot…
▬ Arrête un peu de râler, c'est pas bon pour le bébé. T'auras tout le loisir de me faire la gueule quand on sera marié.

Un sourire remplaça la grimace de Lily et Tyler lui tendit la petite orchidée, le « bébé fleur ». Vu la taille du ventre de la jeune femme maintenant, le pot miniature contenant la plante tenait en équilibre sur le bedon de Lily. Ty' était très fier de son numéro.

▬ TADAAM ! Au fait, j'ai rapporté des pâtisseries, je pensais pas que tu cuisinerais... C'est pas mortel au moins, tes crêpes ?

Tyler grimaça, certain qu'il allait se ramasser une gifle de la part de Lily. Pour ne pas que la jeune femme soit froissée trop longtemps, il prit l'orchidée pour la déposer sur la table et tira Lily par le bras vers lui. Il passa ses bras autour d'elle et lui sourit tendrement. Il finit par baisser les yeux sur son ventre:

▬ Tu crois que Nolan va me torturer le jour de l'accouchement ?

Tyler ne peut pas s’imaginer la vague de soulagement qui l’envahit quand elle le voit planté dans sa propre cuisine. Lily avait refusé de céder à la panique mais au plus profond d’elle, elle avait une peur bleue d’ouvrir les placards juste pour vérifier et constater qu’il était parti en emportant tout et la laissant seule. Elle avait presque jeté le chat par terre. Elle l’aurait fait si elle ne s’était pas reprise au dernier moment en essayant d’avoir l’air calme, juste un peu inquiète. Elle se plante devant lui, tentant de rester sérieuse et même de sembler un peu boudeuse. Mais toutes les trois secondes, les commissures de ses lèvres tremblotent et elle est obligée de s’empêcher de rire et de lui sauter dans les bras. Avec son ventre, elle le tuerait si elle lui sautait dessus. Alors, elle ignore presque royalement sa réplique. Sauf la fin. « Quand on sera marié ». Pourquoi pas « si on se marie » ? Ce serait plus logique vue sa réaction de la veille à sa petite déclaration minable. Néanmoins, ses mots semblent vouloir balayer toute forme de doute et c’est ce qui rend le sourire à la jeune femme, juste au moment où il sort quelque chose de derrière son dos.

Curieuse, comme à son habitude, Lily se penche légèrement. Oh, la jolie fleur. Avant que Tyler ait pu la lâcher, Lily pose ses mains sur les siennes tenant le pot. Mais il se détache de sa faible emprise sans forcer et pose le petit pot sur son ventre. Craintive, elle n’ose plus bouger, s’imaginant qu’il allait tomber et se fracasser par terre. Incroyable mais vrai, il tient parfaitement en équilibre sur son bedon rond. Ce n’est pas pour autant qu’elle ose faire le moindre mouvement, au contraire. Elle doit même se forcer à ne pas rire pour éviter de bouger.

« TADAAM ! Au fait, j'ai rapporté des pâtisseries, je pensais pas que tu cuisinerais... C'est pas mortel au moins, tes crêpes ? »
« Ah, t’as fini d’être mesquin, oui ? J’vais les goûter, pour te prouver que c’est pa- »

Lily n’a pas le temps d’en dire plus. Tyler a déjà attrapé la fleur, qui s’avère être une orchidée, pour la poser précipitamment sur la table avant d’attraper la fausse blonde par le bras. Au début, elle se crispe un peu, ne sachant pas ce qu’il compte faire. Et avec son père, ce geste, s’il n’était pas synonyme de gifle, préfigure une méchante engueulade. Mais non. En quelques millisecondes, elle est nichée au creux de ses bras et retrouve son odeur qu’elle aime tant. Quand elle relève la tête, elle croise le sourire tendre du jeune homme et le lui rend volontiers.

« Tu crois que Nolan va me torturer le jour de l'accouchement ? »
« Oh, sans doute. Il t’ouvrira les veines et te pendra par les pieds comme un cochon, la tête plongée dans l’eau de la baignoire et le toaster sur le rebord de celle-ci. Comme ça, à tes premières convulsions par asphyxie, il tombera dans l’eau et Nolan sera sûr de réussir son coup. Mais je te protègerais. Il osera pas toucher à l’homme que j’aime, quand même ! »

Après un petit moment de suspens, Lily finit par rire doucement et se hisser sur la pointe des pieds pour accéder à ses lèvres. Dingue comme elle en est devenue accro en si peu de temps. Ils passent leur temps à s’embrasser, dorment ensemble, s’occupent l’un de l’autre comme un vieux couple et attendent même un enfant, mais ils ne sont pas amoureux. Non, ce serait trop banal. Quand elle s’écarte de lui – manquerait plus qu’elle l’étouffe –, elle tourne la tête vers l’orchidée alors que quelque chose vient de lui revenir en tête. Quelque chose qu’elle a lu en tombant par hasard sur un site sur la signification des fleurs. « L’orchidée est la fleur parfaite pour déclarer un amour secret à l’élue de son cœur, cette divine créature souvent intimidante. » Son visage redevient un instant sérieux. Elle réfléchit à toute vitesse. Ce qu’il lui a dit hier. Il n’est pas amoureux d’elle, alors pourquoi cette fleur ? Doucement, elle se détache de ses bras et retourne prendre le pot dans ses mains avec délicatesse. La fleur n’est pas plus grosse que son pouce et la tige fait la taille de sa main.

« Elle est magnifique, Sky. Je l’adore. Merci… merci. »

Du bout des doigts et avec toute la douceur dont elle sait faire preuve, Lily caresse les pétales de la fleur du bout des doigts. Puis, elle repose le pot et se retourne vers Tyler. A la lumière du plafonnier de la cuisine, quelque chose la frappe : la pâleur du jeune homme. En fait, il a passé ce stade. Il n’est plus juste pâle, il est gris et ses yeux sont cerclés de violet. Comment ne l’a-t-elle pas remarqué plus tôt ? Elle frissonne d’effroi. A pas hésitants, elle se rapproche de lui et passe une main tendre sur sa joue. Sa main est à l’image de Tyler, maigre et décharnée.

« L’université a appelé pendant que tu étais dehors… tu n’as pas cours aujourd’hui, ni demain. »

Mensonges. Lily n’a reçu aucun appel de l’université. Tyler avait bel et bien compris mais il valait mieux pour lui qu’il se repose. Elle irait elle-même attendre des gens de sa classe pour leur demander les cours et rattraper son mensonge. Elle tend les mains vers lui et attrape les siennes entre ses doigts, pour le mener délicatement vers une chaise et le faire s’assoir. Son sourire étincellent est revenu, comme prévu. Comme une bonne petite femme au foyer, elle dresse rapidement la table avant de lui servir une crêpe dans l’assiette, comme si elle avait fait ça toute sa vie.

« Aller, goûte et dis-moi ce que tu en penses. »

Un léger sourire amusé se dessine sur les lèvres de Tyler. Il trouve Lily mignonne, chou, adorable, enfantine,... Il ne sait quel adjectif est le plus exact vu qu'ils conviennent tous. Avec la minuscule orchidée sur le ventre et son air inquiet plein de précaution, la jeune femme arrive à attendrir Ty' plus qu'il n'en n'a jamais eu l'habitude. Et là, il se demande pourquoi Lily ne se contente-t-elle pas de soulever le pot avec ses mains. Pourquoi se soumet-elle au petit spectacle ridicule auquel s'adonne Tyler ? Pourquoi prend-elle toujours ses remarques avec le sourire ? L'amour qu'elle lui porte est-il si fort, aussi dévorant qu'un cancer qui aurait balancé ses métastases dans un corps condamné d'avance ? La voix de Lily le rappelle à l'ordre et il réagit sans lui laisser finir sa phrase.

▬ Ah, t’as fini d’être mesquin, oui ? J’vais les goûter, pour te prouver que c’est pa-

Tyler tire la jeune femme contre lui et la prend dans ses bras pour la serrer fort. C'est un peu un geste de désespoir, entre la culpabilité et la.. la.. bah la culpabilité aussi ! D'un coté, il s'en veut de lui faire subir ça et une question stupide persiste dans son esprit : « Pourquoi moi ? ». D'un autre coté, il peut surveiller de près le petit enfoiré dont s'est éprise Lily vu que ce petit enfoiré, c'est lui. Du moins, si Nolan ne lui fait pas la peau dès le premier écart. Toute surveillance de la part de Tyler sur sa propre personne deviendrait, dès lors, oiseux.

▬ Oh, sans doute. Il t’ouvrira les veines et te pendra par les pieds comme un cochon, la tête plongée dans l’eau de la baignoire et le toaster sur le rebord de celle-ci. Comme ça, à tes premières convulsions par asphyxie, il tombera dans l’eau et Nolan sera sûr de réussir son coup. Mais je te protègerais. Il osera pas toucher à l’homme que j’aime, quand même !
▬ Et tu comptes me protéger avec quels muscles ?

Le jeune homme scrute, analyse pendant plusieurs minutes la silhouette de la jeune femme. Ses bras ne sont pas bien épais, sa carrure impressionne autant que l'envergure d'un moineau,... Les yeux de Tyler vont alors se poser sur la poitrine de Lily et après s'être rendu compte qu'il la fixait avec plus d'insistance que tout le reste, il détourne vivement la tête en rougissant. Mater les seins de n'importe quelle autre femme ne le gêne pas à ce point d'ordinaire. C'est un réflexe de mâle qu'il impose, qu'on le perçoive bien ou non. Cependant, il n'avait plus eu envie de la jeune femme depuis qu'elle était revenue à lui, enceinte. Il l'avait couvée et s'était occupé d'elle comme d'une soeur sur qui l'on veille. Il ne s'était plus permis de la regarder autrement que comme une amie. Pourtant, les yeux de Tyler s'étaient portés sur l'interdit. Il ne pouvait plus désirer Lily, l'imaginer nue, se demander si les sentiments qu'elle lui portait changerait sa façon de faire l'amour,... Pourtant, ces images malsaines le titillent.

Lorsque Tyler tourne à nouveau la tête, le visage de Lily est très proche du sien. Il écarquille les yeux et se demande ce qu'elle veut lorsqu'il se souvient que depuis hier, ils doivent jouer au papa et à la maman. Il se laisse donc docilement approcher et embrasser. Ce baiser lui procure plus d'effet que d'ordinaire. Il frissonne. La jeune femme finit par s'éloigner et reprend l'orchidée entre ses fines mains. Tyler ne cesse de l'observer. Lily regarde intensément la fleur, très sérieusement. Ty' se demande à quoi elle peut bien penser lorsqu'elle le remercie. Il se contente de sourire en hochant la tête. C'est un bien maigre cadeau pour tout ce qu'elle endure.

Lily repose enfin le pot et lève les yeux vers Tyler. Une étrange expression marque ses traits. Ça ressemble à de l'effroi. Le jeune homme est en train de se demander s'il fait si peur à voir. On dirait que oui. D'ailleurs, Lily lui sort une excuse bidon pour qu'il n'aille pas à l'université, ni aujourd'hui, ni demain. Elle a honte de ce qu'il est ou elle est gênée pour lui ? C'est vrai que Ty' n'a pas fière allure depuis un moment. Lily en vient même à le guider pour qu'il s'installe sur une chaise. Il a l'impression d'être impotent ou du moins, d'en avoir l'air physiquement.

▬ Aller, goûte et dis-moi ce que tu en penses.

La table est mise, les crêpes attendent d'entrer dans la bouche de Tyler et Lily patiente. Le jeune homme se décide enfin à couper un morceau de la pâte fourrée et à y planter sa fourchette. On dirait que tout leur avenir repose sur le verdict de Ty. Lily s'imagine-t-elle que si elle échoue à l'épreuve « cuisine », il la remplacera par une fille plus douée ? À vrai dire, l'idée ne lui traverse même pas l'esprit. Il enfourne le morceau de crêpe dans sa bouche et se met à mastiquer. Après quelques secondes, il fait semblant d'avoir envie de vomir, juste parce qu'il ne peut pas rester sérieux plus de deux secondes. Le sérieux l'a toujours terrifié. Et si sa relation avec Lily devenait sérieuse ? Il manque de justesse de s'étrangler. Il finit par avaler et se tourne vers la jeune femme.

▬ Arrête de stresser, je pense que c'est très bon. Mais je n'ai pas très faim aujourd'hui alors tu peux les finir si tu veux. Tu m'en feras une autre fois.

Tyler sourit tendrement et s'enfonce légèrement sur sa chaise. Il fixe longuement les crêpes et se demande si c'est ce qu'il devait répondre. Il se demande si son devoir de futur père n'est pas de se forcer à finir l'assiette, même s'il n'a vraiment pas faim, pour faire plaisir à Lily, quitte à aller les vomir dès qu'elle aurait le dos tourné car son estomac est devenu ridiculement petit. Ty se redresse légèrement et sourit encore à Lily.

▬ Je suis désolé, la fatigue a tendance à me couper l'appétit. En plus, les supplices que Nolan va me faire subir, dont tu n'as occulté aucun détails ne m'ont pas aidé ! Alors je propose que tu viennes t'asseoir sur mes genoux, que tu manges ces crêpes et qu'on aille mater Les Feux de l'Amour dans le sofa pour les deux jours à venir. Je te ferais même des massages et des câlins pour te montrer l'immensité de ma perfection et tout ce que tu n'auras plus quand Nolan m'aura égorgé.

« Et tu comptes me protéger avec quels muscles ? »

Avec ceux qui vont faire que mon poing va bientôt t’atterrir dans le nez, aurait-elle répondu en riant pour déconner si elle avait été réellement dans son assiette. Adepte des menaces à la con. Cependant, aujourd’hui, elle se contente de lui tirer la langue avec un faux air contrarié. Enfin, de toute façon, ça n’est pas comme s’il était sérieux. Il sait de quoi Lily est capable. Il l’a souvent vue agir avec son frère depuis l’incident de New York. Elle le regarde du coin de l’œil tandis qu’il fait mine de la détailler pour évaluer sa carrure. Sauf qu’aux dernières nouvelles, ce n’est pas la taille de la poitrine qui fait la force. Les joues de la jeune femme virent au rouge carmin tout en détournant les yeux. D’un côté, ce regard ne l’ennuie pas plus que ça. D’un autre côté, elle ne sait pas trop comment considérer sa manière de l’observer. C’est pour cela qu’elle agit si bizarrement par la suite, comme si elle ne savait plus où se mettre. Si elle pouvait jouer l’autruche et se planquer dans la terre, elle ne s’en priverait pas.

La situation s’empire quand elle peut mieux le voir à la lumière blafarde de la cuisine. Il est translucide et ses yeux sont violets. Il a besoin de repos, c’est évident. Mais Lily n’arrive jamais à le laisser se reposer. Comme si, bêtement, elle avait peur qu’il ne se réveille pas et l’abandonne. A nouveau, elle panique, ne sait plus comment agir ou même mettre un pied devant l’autre. Et finalement, quand il lui explique qu’il n’a pas faim, elle se détend brusquement et manque de tomber par terre. Elle a encore envie de pleurer. A voir si ce sont les hormones ou les sentiments qui se font un match de catch en elle, en tout cas, elle est obligée de s’occuper pour ne pas à nouveau fondre en larmes devant lui. Avec des gestes fébriles, elle emballe le reste des crêpes sans un mot et les range dans le frigo. Elle referme la porte presque brusquement mais la retient au dernier moment. Avant de se retourner, elle la ferme avec douceur. Se calmer. Ne pas pleurer. Pas encore, enfin, ce n’est pas digne d’elle. Lily se reprend, à deux doigts de se mettre une petite claque sur la joue pour se réveiller, et se retourne vers Tyler avec un petit sourire mutin.

« Premièrement, faire la cuisine m’a écœurée. Deuxièmement, je déteste les Feux de l’Amour et j’ai ma collection de Desperate Housewives qui attend qu’on la mate. Et troisièmement, je veux des câlins. J’vais chercher les DVD, toi ramène le sucré, et rendez-vous au salon. »

Après un clin d’œil taquin, comme si elle retrouvait sa vraie nature, Lily-Rose s’éclipse rapidement dans sa chambre. Mieux vaut ne pas penser avec le cœur, mais juste avec la tête. Ce serait sans doute moins douloureux. C’est donc le cœur léger qu’elle va se blottir au creux des bras de Tyler, dans le canapé, pour regarder une série qu’elle ne suivra à moitié, trop occupée par ses massages et ses câlins.

THE END.