Sasha & Lily-Rose

Sasha se leva d'humeur assez médiocre. Le parfait milieu. Sans être de bon poil, elle n'était pas non plus de très bonne humeur. Un mélange de rêve bizarre et une suite de nuits à se coucher tard avaient suffi à la mettre dans cet état. Elle ferait pourtant, comme à chaque fois, l'effort d'être agréable, gentille et compréhensive comme elle en avait l'habitude. Elle serait encore la timide alors qu'en réalité elle ferait la demande implicite qu'on la laisse tranquille. Une journée de paix, un contact social limité à la politesse, voilà quels étaient ses prévisions pour la journée. Bien entendu, son état pourrait tout à fait changer avec le temps et devenir plus joyeux, mais cela ne restait en ce moment même qu'une possibilité et non une certitude. Après plusieurs tentatives de motivations personnelles, elle réussit enfin à se lever. Décidément, il y avait des jours où se sortir du lit était un véritable calvaire, signe que finalement on ferait peut-être mieux d'y rester.

La suite de la journée se déroula de manière assez banale. Une journée sans cours était toujours typique avec Sasha, du moins quand elle était dans ses humeurs-là. Elle fit sa toilette et s'habilla en jeans et haut blanc à manche trois-quarts. Elle coiffa ses longs cheveux blonds, les laissant libre de leur mouvement. Autant faire dans le simple. Elle traîna dans son appartement durant toute la matinée. Elle alternait entre s'affaler dans son canapé pour regarder la télé et s'affaler dans son lit... pour regarder la télé.

Ce n'est que dans l'après-midi après s'être fait une salade immangeable, elle se dit que sortir serait peut-être un bon moyen pour se remonter le moral. Mieux encore, aller au centre commercial ou encore tout simplement se rendre dans n'importe quelle boutique de vêtements, lui suffirait. De nouveaux vêtements pour plus de choix. Sasha n'est pas une accro du shopping en temps normal, mais tout ce qui pouvait lui remonter le moral serait la bienvenue et des fois le shopping était une bonne manière de retrouver la joie et la bonne humeur. De plus comme elle n'était pas d'humeur particulièrement entraînante elle se montrerait très sélective avec les vêtements. Elle y gagnait donc tout. Conclusion : bonne journée pour du shopping.

La décision était prise. Elle enfila un blazer et chaussa une paire d'escarpins noirs. Après avoir pris son sac et ses clés elle descendit au parking et se glissa derrière le volant de son Aston Martin One77. Elle ne faisait pas trop attention aux rues qu'elle empruntait, se dirigeant surtout là où elle avait l'habitude de faire cette activité passionnante (ou pas). Bon d'accord ! Elle aimait acheter ses fringues dans de nombreux endroits, mais aujourd'hui, elle avait envie d'aller dans un magasin en particulier. C'était un de ces commerces où on trouvait de toutes les marques, ainsi il y en avait pour tous les goûts. Une fois arrivée dans la rue, elle gara sa voiture, en sortie pour se diriger vers ce cher magasin et n'oublia bien entendu de fermer la voiture.

Tout laissait présager un après-midi de détente comme l'avait prévu la jeune femme. Elle était bien entendue loin de se douter qu'à travers ces rayons, se trouvait une de ses meilleures ennemies.

Remuez-vous, taille 40 ! Skinny.lOve

Être réveillée par les coups de pieds incessants d’une petite crevette surnommée Bidule et qui macère encore tranquillement, ce n’est franchement pas ce dont Lily-Rose rêve tous les soirs. Non. Ce dont elle rêve, elle le tient toutes les nuits entre ses bras et sent son souffle dans son cou. Malgré une nuit plutôt agitée une dizaine de jours plus tôt, rien n’a changé. Pas de gêne, pas de différence. Elle peut toujours se faire chouchouter par le papa de Bidule, réclamer ses câlins et lui en faire quand bon lui semble. Son ventre toujours plus volumineux au fil des jours ne l’empêche pas de faire tout ce qu’elle peut pour lui rendre la vie agréable. La seule chose qu’elle l’oblige à faire, c’est la cuisine. Car à part du surgelé et des pâtes, elle ne sait pas exactement cuisiner. Auparavant, elle ne se serait jamais imaginée en bonne petite femme au foyer mais aujourd’hui, c’est presque une évidence. Elle a promis à Sky de l’attendre, le temps qu’il aille vraiment bien et compte bien se tenir à cette promesse. Depuis la veille, elle ne va plus à l’université et ne travaille plus au Angel’s. Les congés maternité sont vraiment de tout repos. D’autant plus qu’aujourd’hui est une journée spéciale. Hier, elle a eu droit à une paie spéciale de la part de son adorable employeur. « Pour t’occuper du petit quand il naîtra » lui avait-il dit en lui tendant l’enveloppe. Largement assez pour la faire vivre comme une princesse pendant trois mois. Bref, elle est réveillée et Sky dort toujours entre ses bras. Se levant doucement, elle plaque un doux baiser sur sa joue et rabat la couverture sur lui avant de quitter la chambre. Après s’être préparée, elle prépare un petit déjeuner à réchauffer pour le papa encore endormi en lui laissant une petite note. « 1m50 au microonde. Mange tout, sinon je t’étripe et Bidule ne connaitra jamais son père. Mwahahaha. Je suis partie faire les magasins. Je t’adore. Lily ». Avant de partir, elle a transféré plus de la moitié de sa paie de la veille dans le portefeuille de Sky.

Ce n’est qu’en sortant de l’appartement et après avoir descendu tous les étages qu’elle se rend compte qu’elle n’a même pas mangé. Son ventre râle sans la moindre discrétion. Résignée, elle passe la matinée à la terrasse d’un café, à grignoter quand elle en a envie, écoutant avec délice les discussions des gens. Être enceinte a ça de bon qu’elle n’est plus embêtée par les garçons. Ces ados en manque qui venaient la draguer dans un but bien précis et qu’elle prenait plaisir à envoyer sur les roses. Maintenant, avec son ventre, elle est tranquille. Et encore plus quand Sky sort avec elle et qu’elle se serre contre lui. Au bout de deux longues heures, le serveur, contrit, vient lui demander si elle compte déjeuner ici. Il lui faut de longues secondes de réflexion pour acquiescer et lui commander une salade. Non, elle ne veut pas mincir ou le rester – parce qu’en ce moment, elle n’a pas ce qu’on pourrait appeler la taille mannequin –, elle prend la salade par goût, parce qu’on l’a toujours appelé un petit lapin pour adorer la salade plus que la viande ou le poisson. Elle engloutit la salade en un temps record. De toute façon, elle n’avait pas faim. Quittant peu après le bar-restaurant, elle se met tranquillement en route vers l’avenue marchande, à pieds, malgré les recommandations de sa gynécologue adorée. Ou pas. Ce qu’il y a de bien, quand on est enceinte, c’est que tout le monde fait attention à vous. Les gens s’écartent pour ne pas vous bousculer, on vous tient la porte, on vous aide à porter vos affaires. C’est le bonheur. La preuve, c’est une vendeuse qui accourt pour lui ouvrir la porte du magasin dans lequel elle veut entrer. La remerciant d’un sourire, elle s’engage dans les rayons, regardant tout ce qui attire son regard. Bien sûr, si elle cherchait des vêtements à porter maintenant, elle ne se trouverait pas dans le bon rayon. Ce qu’elle veut, ce sont des vêtements à sa taille d’avant la grossesse pour pouvoir la forcer à perdre du poids après l’accouchement. Donc, bien entendu, il faut que les vêtements soient des coups de cœur.

« Excusez-moi, madame… Je crois que vous n’êtes pas dans le bon rayon… Si vous cherchez des vêtements de grossesse, je peux vous montrer où ils… »
« Pardon ? Vous me prenez pour une conne ou bien ? C’est du 36, j’sais bien que je rentrerais pas dedans maintenant. Alors, je peux me démerder toute seule. »

La vendeuse bat en retraite devant la violence des paroles de Lily. Elle ne réplique rien et s’éclipse, tête baissée. Pourtant, la jeune femme n’est pas de mauvaise humeur. Elle n’aime pas les gens qui la prennent pour une idiote. Soupirant, elle pose le jean qu’elle tenait et se tourne pour continuer son chemin. Mais non. Elle s’arrête net, sans avoir fait un seul pas, figée par la vision devant elle. A trois mètres, Taille 40. Le surnom favori de Lily pour cette blondasse de Sasha. Elle sent sa méchanceté revenir au galop. Depuis qu’elle vit presque vingt-quatre heures sur vingt-quatre avec Sky – ne le quittant que lorsqu’il va en cours -, elle est devenue douce comme un agneau. Mais cette fille ne lui inspire que de la haine. Avec un sourire mauvais, elle s’approche d’elle jusqu’à se tenir derrière elle et observe le vêtement qu’elle tient entre ses mains, avant de murmurer :

« Tu devrais prendre une ou deux tailles de plus si tu espères rentrer là-dedans sans devoir te crever de faim pendant trois mois. »